La principale chose dont tu te souviens, c'est le froid. Le froid mordant, le froid violent qui n'a jamais cessé de venir fouetter ton corps et qui ne cessera jamais. On a dit que c'était ta punition, ta punition pour avoir existé. On a dit aussi que ce n'était que ce que tu méritais. En fait, tu te souviens qu'on a dit beaucoup de choses à ton sujet. Beaucoup de choses que tu n'as pas comprises tout de suite et que tu as préféré ignorer. Tu as surement bien fait.

De ce que tu te rappelles, tu as toujours vécu ici, dans cet horrible endroit froid. Tu sais pourtant que tu as connu l'extérieur pendant quelques temps, bien qu'ils furent courts, parce qu'on te l'a dit. Parce qu'on aime te le répéter en souriant. Toi, tu ne t'en souviens pas. Pas du tout. Ou plutôt. Tu l'as volontairement effacé de ta mémoire. Parce que tu as décidé depuis lors d'oublier la chose nommée « sentiment », celle qui rime avec « compassion ». Ce qui se résumait en soit à oublier les moments que tu avais passé en haut, avec les autres. De toute façon, seuls ceux qui t'ont obligé à descendre se souvienne de ce temps là. Les autres sont persuadés que tu es née ici-bas et que c'est ton destin d'être coincée là. Ils n'ont pas tout à fait tort, te diras-tu parfois, alors que tu ne devrais pas.

Parfois, ceux d'en haut te rendent visite. Mais c'est rare. A dire vrai, ça n'est pas arrivé depuis très longtemps. Si tes souvenirs sont exacts, la dernière fois était lorsque le chef des Dieux est venu te réclamer son fils. Balder, fils d'Odin. Odin, ou l'homme qui t'avait lui-même banni dans cet endroit froid et austère, avait osé revenir vers toi pour te réclamer ce qui te revenait pourtant de droit. Tu as refusé, et tu ne le regrette pas. Il ne pouvait plus rien faire contre toi. Personne ne le pouvait plus. Tu étais déjà devenue la plus puissante de tous ces Dieux vulgaires et imbéciles. Tu les surpassais en tout et ils étaient bien obligés de reconnaître ton autorité. Tu étais crainte et tu le savais. Ça te faisait même plaisir. Alors Balder resta avec toi, parce que tu avais décidé que ça serait comme ça. Et parce que voir la mine déconfite du plus puissant des Dieux t'avait rendu heureuse. Tu le tenais à ta merci pour la première fois. Lui que tu crains pourtant encore maintenant.

Tu n'es pas sûre que cela soit vrai, mais tu es convaincue que cela s'est passé. Ton père est déjà descendu, lui aussi. Mais c'est tellement peu clair dans ton esprit, et puis tu ne t'y attendais tellement pas. Peut-être a-t-on glissé ces images à l'intérieur de ton crâne pour te faire un peu plus souffrir à chaque fois que tu y repense, sans savoir si cela est la vérité vraie ou bien un message construit par l'imagination d'un être dénué de scrupules. Son visage reste dans l'ombre, comme s'il ne veut pas que tu le vois, où plutôt, comme si lui ne veut pas te voir. Tu ne sais plus de quoi vous avez parlé. Peut-être de son plan pour le Ragnarok auquel il a l'intention de te faire participer, ou peut-être autre chose. Rien n'est sûre. Et ça te désole. Ne même plus se souvenir de ce que tu as ressenti face à ton père. Ton propre père. Cet homme fourbe qui n'a cessé de tourmenter les Dieux, en haut et dont les punitions furent diverses et variées mais ne suffirent pas à le calmer. Parmi ces sentences toutes plus horribles les unes que les autres, une te concerna plus que tout le reste.

Tu connais l'histoire des Dieux d'Asgard et des Hommes de Midgard comme tu connais le moindre recoin de ton domaine. Helheim n'a jamais eu et n'aura jamais de secrets pour toi. Ainsi, l'histoire de tes parents, tu ne l'ignore pas. Et quand bien même tu aurais voulu l'oublier, on te l'aurait volontairement rappelée, histoire que tu sache ce que tu avais fait pour être envoyée dans ce lugubre endroit. Ton père se nomme Loki, ta mère Angerboda. De leur union naquirent tes deux frères aînés, puis toi. Trois monstres répugnants à l'effigie de la liaison du dieu et de la géante qu'étaient vos parents. Oui, monstres, c'était le mot. Comment aurait-on pu qualifier autrement un colossale loup de la taille des montagnes, un serpent aux yeux dorés et un fille mi-humaine, mi-cadavre ? Vous étiez des atrocités qui n'auraient pas dû exister, c'est ce qu'on te dit à peine née. Voilà pourquoi Odin décida lui-même de vous mettre à l'écart, cherchant par la même occasion de se débarrasser d'une menace potentielle, les trois Norns ayant déjà prévu sa fin par les crocs de Fenrir et celle d'un autre dieu, Thor, par le venin de Jormungand. Tu n'as dû voir l'éclat du soleil poursuivi par Skoll que quelques jours avant d'être plongée dans la noirceur de ta nouvelle demeure.

Et te voilà la maîtresse du royaume des morts indignes. Rien que ça. Tous ceux qui ne vont pas en haut, descendent chez toi. Tu règne sur l'opposé du Valhalla, l'endroit que les humains craignent, l'endroit qui les pousse à se sacrifier dans des combats sans sens ni fondement avec l'espoir d'y mourir pour rejoindre le plus puissant des dieux et ses belles filles les Valkyries dans un concert d'alcool et de chansons paillardes. Tu détestes ça, leurs éclats de rire et le bon temps qu'ils prennent ensemble. Chez toi, tout n'est que souffrance et froidure. Tu fais des hommes morts dans leur lit tes esclaves, des assassinés lâchement tes souffre-douleur, et des autres tes sujets sans conscience ni esprit pour réfléchir à leur condition. Mais ça te plaît. Après tout, tu as toujours vécu ici et tu vivras toujours ici, alors t'accommoder à ton environnement est quelque chose d'essentiel. Tu es la reine maudite de cet endroit où l'on t'a banni avec l'espoir fou que tu y crèverait.

Tout aurait pu continuer ainsi jusqu'au Ragnarok, mais le destin en décida autrement. Les mythes se perdirent et bien peu de personnes continuèrent à croire en ces dieux supérieurs qui disaient régir tous les mondes. Toi y compris, tu sombras peu à peu dans l'oubli. Et pourtant, tu ne faiblissais pas. Au contraire, mourir de vieillesse semblait être devenu quelque chose de préférable pour les humains, ce qui t'arrangeait grandement. Même si l'on ne te croyait plus, tu continuais à exister. Et puis vint ce jour où, de bouche à oreille, on t'annonça quelque chose qui t'aurait semblé impossible des siècles auparavant. Il se disait que ton frère avait réussi à s'extirper de Gleipnir et avait recraché l'épée qui l'empêchait de mordre. Il se disait qu'il avait fui, profitant de la faiblesse des dieux, sur Midgard. Personne ne savait où exactement et la panique se propagea rapidement chez les Ases. Tu su à cet instant que ton heure avait sonné. Si ton très cher frère avait réussi à s'échapper alors tu te devais de le retrouver. Peut-être même le dernier de la fratrie vous rejoindrait-il plus tard ? Tu l'espérais vraiment, lorsque tu te décida à remonter à la surface, chez les Hommes. Sur Midgard.

Tu t'arrangeas comme tu le pu pour prendre un apparence qui ne choquerait pas les humains, masquer cette partie de toi qui se décomposait ne fut pas chose facile, surtout qu'à peine te retrouva-tu sur la Terre que tes pouvoirs s'amoindrir d'un seul coup. Même si tu avais délégué tes tâches de Reine des Enfers à un de tes fidèles mort-vivant, tu ne pouvais pas trop laisser vagabonder ton don naturel d'absorption d'énergie vitale car cela signifiait devoir accompagner cette pauvre âme jusqu'à ta demeure originel. Un chemin long et fastidieux que tu ne souhaitais pas ré-emprunter avant un certain temps. Tu te choisis un nom et un prénom, comme tous ces vulgaires humains qui t'entouraient désormais, tu fis en sorte de devenir quelconque, c'était le mot.

Les activités anormales qui se tramaient aux États-Unis finirent par atteindre tes oreilles. Tu n'eus pas besoin de beaucoup de temps pour calculer la probabilité que tu avais de retrouver ton frère dans un endroit pareil. Il te fut facile de te rendre là-bas et d'y trouver ta place. Parmi tous ces adolescents imbus d'eux-mêmes rêvant d'égaler les Légendes -on aurait dit les remplaçants des Dieux D'Asgard, quelle ironie- et leur don hors du commun, tu ne faisais absolument pas tâche. Tu entras à l'école nommée Heroe's Sup dans les quelques années qui suivirent ton arrivée sur terre.