Les huit premières semaines de ma vie d'écureuil ne sont pas très intéressantes. Pour moi, pour le peu que je m'en souvienne, elles ont été bien heureuses. J'ai deux frères. Nos parents se sont établis dans un parc sur Rue de Molière. Il y avait toujours des gens habillés chic, dans les poubelles on trouvait parfois de la nourriture riches comme des crevettes ou des têtes de homard. C'était la belle vie. Mais bon, comme je vous l'ai dit, ça n'a duré que huit semaines. Pas que le reste de mon existence fut malheureuse mais ce n'était plus pareil après l'incident. Je vais vous éclairer un peu sur le pourquoi de ma mutation. Le pourquoi d'un petit écureuil qui tape son histoire sur un ordinateur. Dans une ville de super-héros, il y a aussi des super-vilains. Et les super-vilains (et parfois même leurs contraires) utilisent parfois des produits chimiques, radioactifs pour commettre leurs crimes. Alors que j'étais dans l'herbe à renifler le sol à la recherche de nourriture, il y eut une détonation particulièrement assourdissante. J'ai d'abord levé mon museau pour m'assurer de la direction d'où venait le danger. Mes moustaches tressaillirent en voyant un camion renversé être projeté dans ma direction. J'ai figé. Et c'est une chance en soit, sinon je serais mort et dans l'estomac d'oiseaux ou d'asticots. Bref, vous voyez le genre. Je suis donc resté immobile, la tête levée et les yeux fixés sur la mort qui s'approchait. J'étais jeune et innocent. Huit semaines c'est l'équivalent de quatre ans en âge humain.

Je crois que j'aurais pu mourir d'une crise cardiaque si j'aurais été un peu plus vieux et aurait compris ce qui se passait. Le camion ne m'écrasa pas. Il finit sa course folle à... peut-être cinq centimètres de moi. Je suis resté debout sur mes pattes arrières à regarder la situation. Mon petit cœur palpitait tellement que j'en avais mal, je m'en rappelle. Pendant quelques précieuses secondes, il ne se passa rien. Puis il y eut un horrible grincement et un liquide noir semblable à du goudron perça la benne du véhicule et un jet me tomba très précisément sur la tête. C'était froid. J'ai léché pour voir ce que c'était. C'était dégoûtant. J'ai ouvert la gueule et je me suis décidé à retourner dans mon arbre. Mon pelage était collant, c'était très désagréable. Je me frottait contre l'écorce mais rien n'y faisait. Mes frères me roulèrent dans un buisson un peu plus tard. J'étais encore couvert de cette substance au parfum écœurant. C'est ma mère finalement qui me prit par la peau du cou et alla me balancer dans le lac artificiel du parc. Je savais nager, ne vous inquiétez pas. Au bout d'un moment à me mouiller le poil, j'ai commencé à avoir très froid. Ce qui est étrange puisque c'était l'été. Mais j'avais l'impression que mon corps était glacé. Comme si de petites aiguilles me pénétraient le corps. J'ai crié et suis retourné sur la terre ferme. Je me suis tenu la tête à deux mains et me suis massé le front. Et là, j'ai commencé à me demander pourquoi je faisais ça. Ce n'est pas un comportement d'écureuil que de se masser la tête avec ses doigts. Je me tenais maintenant à deux pattes, tout ce qu'il y a de naturellement. Je marchais comme un bipède. Mes frères eurent beau me renifler, ils ne trouvèrent pas de changement dans mon odeur. Et moi non plus je ne trouvais pas que les odeurs étaient différentes. C'est à partir de ce moment que je suis devenu un écureuil mutant. J'imagine que d'autres animaux ont muté mais moi, c'est de la tête que j'ai changé. Mon cerveau s'est comme... débloqué, ou je ne sais quoi. Je ne suis pas un scientifique, moi. Je ne suis qu'un animal qui a reçu un produit mystérieux sur le crâne et qui est devenu d'une intelligence supérieure à sa race. La vie d'écureuil me paru vite d'un triste ennui. Alors dès que j'eus trois mois, je quitta l'arbre familial en promettant de revenir les voir dès que j'aurais trouvé un but dans la vie.

J'ai donc pris dans mes bajoues quelques noisettes et j'ai parcouru les rues à la recherche de ma destinée de rongeur. Je ne savais pas encore lire alors je ne pouvais pas feuilleter des journaux pour me trouver un job. De toute manière, je sais maintenant qu'un écureuil ne peut pas remplir les mêmes critères professionnels qu'un humain. Je vagabondai quelques temps, une journée en fait, pour me retrouver devant super-man. Ouep, super-man. Il était là, un mètre quatre-vingt quinze, la chevelure laquée au gel. J'étais tout émerveillé. Mais soudainement, de grosses mains le prirent par les épaules et le tirèrent vers l'intérieur d'une boutique. J'étais horrifié. Comment connaissais-je Super-man, petit écureuil que j'étais ? Je ne le connaissais pas. Je le nomme ainsi aujourd'hui parce que depuis, je me suis cultivé. Par contre, j'avais déjà aperçu des super-héros avec leurs capes et ils m'avaient toujours paru êtres gentils. Un sentiment nouveau d'altruisme et de révolte me hérissa le poil et je fonçai à la suite du mécréant qui kidnappait Super-Man sans scrupule aucuns. Je fonçai mais me prit la porte en plein museau. J'eus beau pousser de toutes mes forces, c'était verrouillé. Je devais trouver un moyen de pénétrer dans ce repaire de vilain. J'ai donc sauté sur le rebord de la vitrine pour regarder à l'intérieur ce qu'il se passait. Je ne voulais pas que quelqu'un torture ce pauvre justicier. Je vis l'énorme vilain emmener Super-man dans l'arrière boutique. De l'ombre, je vis que ce psychopathe sortait des outils à l'allure tranchante. Je devais me dépêcher ! J'ai donc couru dans la ruelle et suis arrivé derrière la boutique. Il y avait une bouche d'aération. J'ai foncé dessus et tiré de toutes mes forces avec mes griffes. La petite porte est tombée dans une benne à ordure avec moi-même. J'ai réussi à entrer.

Je me suis retrouvé dans une petite pièce faiblement éclairée. L'homme (le kidnappeur) me tournait le dos. Je ne voyais donc pas ce qu'il était en train de faire à Super-Man. Mais les bruits me semblaient inquiétants. Je me suis donc élancé dans la tignasse rousse emmêlée du type et j'ai commencé à le griffer. Il a eut la réaction normale d'un gars qui se fait attaqué par un écureuil : il s'est levé, hurlant et a tenté de me tasser. J'ai changé de place pour me retrouver sur ses lunettes et il a fini par se donner un coup lui-même, le con. J'ai profité de son moment de déconcentration pour aller m'assurer de l'état du justicier en collant. Et... il était mort ! Décapité ! J'ai paniqué. J'ai essayé de recoller la tête mais rien n'y faisait. Alors j'ai commencé à pleurer. J'étais jeune, je vous dit. Hum. Bref. Je pleurais et le type s'est approché. Il a dit :

« Euh... Je rêve ou tu pleures... je veux dire. Y'a un écureuil qui pleure Super-Man dans ma boutique. What the fuck. »

Je m'en rappelle parce que c'est la première fois qu'un humain me parlait et que je comprenais. J'ai grogné dans sa direction et je lui ai pointé la tête du super-héros. J'ai entrepris de l’engueuler sur son méfait et de l'avertir des tortures que j'allais lui faire subir en conséquence de ses actes. Évidemment, j'ai réalisé que si je comprenais parfaitement l'anglais, je n'avais pas les organes vocaux nécessaires pour le reproduire. J'ai donc couiner contre lui un moment avant de me rendre compte que ça ne servait à rien. Je lui ai sauté dessus encore une fois et je lui ai mordu l'oreille. Après avoir juré que ce n'était pas ce que je croyais et m'avoir frappé contre un mur à plusieurs reprises, il réussit à m'attraper par la queue. J'essayais de le frapper avec mes poings mais cela le fit rire au lieu de l'effrayer. Il m'expliqua, en s'interrompant à plusieurs reprises pour vérifier s'il ne rêvait pas, que Super-Man était une réplique en carton qui avait fait son temps. Il me laissa aller constaté par moi-même que l'imprimé n'avait rien de vivant et que le dos était tout blanc. Je me suis senti stupide. J'ai ris. Et il a rit aussi. Ce type se présenta. Il s’appelait, et s'appelle toujours, Jonas. Il me raconta un peu sa vie mais je ne m'en rappelle pas trop. J'ai tenté de lui expliquer ma quête mais on ne se comprenait pas du tout. Il a fini par me proposer de dormir chez lui. J'ai accepté. Après tout, j'imagine que ce n'est pas habituel pour un humain de rencontrer un écureuil altruiste capable d'humanisme.

J'ai donc suivi Jonas partout pendant quelques mois. Trois mois je crois. Sa boutique de bandes dessinées m'a offert toute une éducation en lettres. J'ai appris à écrire, à lire et à dessiner avec des personnages de Marvel et de DC. J'ai travaillé pendant un mois comme un humain. J'étais payé comptant par contre puisque je n'ai pas de carte d'assurance sociale. Les clients m'aimaient beaucoup. Pour le peu qu'on en avait. Ouais, son affaire n'a étonnamment jamais eu beaucoup de succès, même dans une ville où on ne parle que de super-héros. Le plus gros vendeur était le porte-clef Légendes qui venait avec la tête gonflée de chaque membre. C'est là que j'ai trouvé mon but dans la vie. Je voulais devenir un super-héros. Un peu comme Rocket Raccoon dans les Gardiens de la Galaxie. Un animal justicier, c'est cool je trouve ! Je suis donc, au bout de trois mois d'absence, aller l'annoncer à ma petite famille écureuil. Ma mère s'est montrée quelques peu inquiète pour moi. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi j'allais vivre avec les humains et que de cacher des noisettes en vue de l'hiver ne m'allumait pas vraiment. Je suis différent de mes frères, je sais. Mais elle ne m'empêcha pas d'y aller. Elle me fit simplement promettre de revenir au moins une fois par semaine dans le parc pour dire '' bonjour, je suis en vie''.

Depuis, j'étudie à l'école de super-héros. Je suis content qu'on m'ait accepté malgré ma différence. Je ne suis pas particulièrement doué dans les cours de combat mais je me débrouille en espionnage et en technologie. Oh et je vis toujours avec Jonas. Il fait figure de parenté humaine pour la paperasse de l'école. Je suis vraiment motivé. J'espère qu'un jour, on écrira des histoires à mon sujet !