L’amour dans les veines
comme de l’ambroisie,
et les ivres ires
de n’en pas pouvoir jouir.
Qu’il en fût pourvu à sa naissance, ou qu’il en pâtît
a posteriori n’importait que peu, puisqu’il était dorénavant
tel, conscient de l’élection dont il jouissait et aspirant à la manipuler en virtuose. Emule de lumière. Miracle. Astre chu dans la fange.
Ci-gît Junie. Illuminée. Apothéose. Au firmament où grouillent les étoiles, quand jetée dans la terre que dévorent les vers. Eternelle comme le sont les souvenirs.
Dans la nuit, il ne s’égare pas, le phare de nostalgie.
Dans le jour, il est une éclipse, l’Apophis iridescent.
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Sur les ailes de lumière d’une ville que fendent des eaux toujours placides, féroces jusqu’aux berges comme un fauve hurle dressé dans sa cage, les réverbères tracèrent de salons sobres en univers éthyliques le baldaquin d’un berceau de la même matière que le soleil pour les yeux. Cette couronne de cécité perchée aux cieux pour auréoler l’ordure de sainteté s’était précipitée comme un aérolithe dans le velours et la soie pour déposer sur le ventre d’une femme le suaire de la vie. Quand les démons virent à sa poitrine qu’elle était gorgée de toute la malice que le fruit qu’elle portait pût enfanter, ils l’aidèrent en la tenant par les reins à mettre au monde un monstre d’absolu.
L’aède connut des aubes nouvelles le deuil des amours, et la fugacité de la jouvence, connu des crépuscules comme un contempteur de ce qui, éclos la veille, fane le soir. Pareil à ces roses qu’assèche le jour le soleil de toute la fraîcheur qui au matin leur donna vie, l’existence flâne entre l’abîme de l’ennui et les fossés, tendus de crocs de roche, de dangers qui font les délices ; acculé dans l’abîme par la désespérance plaquée sur sa tempe comme un flingue, dans le fossé par l’appétit des mets que fabule la défense. Ce veuf prématuré marcha toujours sur la laie exiguë que ses pensées protéiformes, tant noires qu’égayées, étendaient ainsi qu’une voie royale.
Sa mère une louve l’éleva seule, plutôt comme une chimère monstrueuse qui préserve sa progéniture pour s’en repaître que comme l’aimable couveuse animée de caresses que ne justifie que la tendresse. Elle le concevait en son crâne après l’avoir conçu en sa matrice, et l’imprimait de son caractère avec un empire tel qu’on eût cru qu’elle l’avait sculpté dans la matière sans l’adjuvance d’aucun mâle ; alpha, à n’en pas douter d’après le patrimoine dont il jouissait. Elle ne voulait rien de singulier pour lui que ses ambitions personnelles. Elle lui intimait dans chaque parole de faire comme elle faisait, de dire comme elle disait, de penser comme elle pensait. Il n’était pas libre, il était une réplique de ce qu’elle était, améliorée comme il put l’être, le réceptacle vide de sa psyché pleine de la noirceur de ceux qui ont déjà le sépulcre collé à la rétine. Il était son flacon d’immortalité.
Elle l’avait élevé jusques au sommet des flèches icariennes, où il côtoyait l’astre émérite le jour et les soleils de nuit quand la lune resplendit. Son père, en vérité, était un galeriste qui s’était ostracisé à Berlin où, disait-il, l’art contemporain était partout en germes qu’il aspirait à cueillir pour en faire d’éprouvantes arborescences. Sa mère, qui gardait pour Paris l’affection la plus vive, qu’elle avait transmise à
son fils, n’avait pas voulu le suivre dans ses billevesées et se fit tributaire d’un art qu’elle voulait dans cet écrin intemporel résolument tourné vers l’avenir ; peut-être avec trop de décennies d’avance. Julie instruisit son fils aux arts pour qu’il tuât son père son mari. Il fut un académicien d’exception, mais subséquemment rien qu’un artisan du quotidien. Elle l’avait arraché à lui-même ainsi qu’il ne se considérait plus comme soi, mais comme une altérité ; que son corps, sa vie lui étaient des dons et non plus des propriétés.
Pandore scindée en deux figures, sa prime face l’éleva jusque dans une prison d’or dont le libéra le verso au visage opalin.
Prima Eva Junie fuit. Elle le déchaîna de sa tentaculaire
phédrésie. Rencontrée sur les quais de la Seine un soir qu’il déclamait ivre des vers qu’il avait composés, et qu’elle rentrait chez elle dans la compagnie du frimas
décembral, elle lui avait épargné de se noyer saoul dans le bras infesté de nixes de la Seine en trébuchant sur les pavés verglacés. Ils s’éprirent l’un de l’autre. Il avait retrouvé sa quête des trésors et démons de la vie, dont il jouissait également. Dans le bitume fleurirent les remembrances d’or et de joie avec Junie, qui le libéra de la société et l’abreuva à son sein de mépris contre celle-ci qui enfermait dans des carcans avec la malice d’y faire scintiller la liberté.
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Quand un prétendu héros sauve une vie, ce n’est pas moins pervers qu’un grand criminel qui, magnanime, épargne une vie : tous deux cherchent la reconnaissance de celui pour qui, à partir de cet instant, ils incarnent une grâce divine. Si l’on condamne un homme pour le gracier ensuite, quel intérêt de l’avoir châtié, sinon celui de troquer sa haine contre la justice contre une soumission éternelle à la miséricorde factice et arbitraire ? Il n’est de plus servile bête qu’Abraham, il n’est de plus ignominieux maître qu’un dieu.
Je ne suis pas un criminel. Serait-il criminel d’anéantir des armements atomiques pour prévenir les morts indénombrables qu’ils vont engendrer ? Je ne suis qu’un visionnaire, quelqu’un qui anticipe ; mon esprit se meut dans la raison et dans les passions à la vitesse de la lumière. Au nom d’une justice immanente. Eclairée. Lumineuse. Si c’est être criminel que de servir une justice plus haute que celles dont les lois liberticides imposent des idoles qui ne sont que blêmes fantoches, je suis alors bandit de grands chemins, arpenteur du vice et héraut du péché.
La violence, ce n’est pas le mal. Le mal, c’est le silence immobile qui permet la violence.
Dominer, ce n’est pas le mal. Le mal, c’est gracier et rendre l’illusion de la liberté par orgueil.
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Les hommes ont au ciel leur vœu d’hégémonie
Et vouent leur panthéon d’ordure aux gémonies
Mais tu veux les hisser jusqu’à ce firmament
Sans en déchoir aucun de ses princes d’antan
Car leurs maîtres rivaux te sont d’affables frères
Qu’aussi tu abhorres ainsi qu’ils les vénèrent
Naguère à la ténèbre offert à la merci
Comme un agneau tu vis dans ton divin lassi
De lumière et de feu l’ambrosiaque exutoire
De cette plèbe immonde à châtier sans surseoir
Le moment échéant leur vaine démesure
Pour qu’elle scintille par-delà les azurs
Percluse dans le noir dont tu vainquis la peur
Tu me cueillis naïve en hiver dans la fleur
De candeur d’où je fuis grâce à ton impulsion
Contre la liberté et quelque sensation
Neuve pour toi alors qu’en me livrant à toi
Tu jetas ton emprise éternelle sur moi
Captive de ton corps depuis que ta lumière
M’a pris la vue du monde où dorénavant j’erre
Comme une veuve vierge attendant la visite
D’un spectre qui partit sans achever le rite
Des amants moi j’attends avec l’ultime image
L’amoureux de Junie et son dernier visage