Cette histoire aurait pu être à pleurer debout, ou à pleurer de rire, mais j'en ai pas spécialement l'envie cette après-midi, alors elle sera neutre. Peut-être bien que certaines choses ont été tristes dans la vie de ce très cher Elliot, mais au fond, il est difficile de se l'imaginer ainsi, alors le récit de son histoire en sera aussi passionnant. L'humour, vous en trouverez peut-être quand même, parce que je suis naturellement pleine de joie de vivre et que raconter n'importe quoi, j'y arrive bien. Enfin, bref. Prenez votre sac et vos chaussures, on remonte le temps. Let's go Marco !

Parce que Elliot est un anglais pure souche, du thé, de la jelly et un accent de la haute s'il vous plaît, veuillez vous orienter dès à présent vers ce magnifique pays qu'est l'Angleterre. Londres, plus précisément. C'est là que notre petit brun a vu le jour, chez des pauvres des bas-quartiers, si vous voulez tout savoir. Et c'était pas la joie dans la maison tous les jours. Parce que entre nourrir la famille et s'occuper du chauffage parce qu'on aimerait éviter de pas passer l'hiver, les parents très démunis de l'enfant qu'il était encore avaient du mal à donner une éducation digne de ce nom et à ne serait-ce qu'occuper les deux pauvres gosses qu'ils étaient lui et sa petite sœur de trois ans sa cadette. Mais bon, n'allez pas croire qu'ils soient malheureux non plus. Vraiment, non, ce serait mentir. Elliot se sentait merveilleusement bien dans cette famille, il avait tout ce qu'il lui fallait pour vivre, même si ce n'était que le strict nécessaire, il s'en contentait. Malgré son caractère qui était d'ors et déjà chiant au possible, il adorait sa famille et pour rien au monde n'aurait voulu changer ses habitudes. Mais bon, comme vous vous doutez qu'il a pas débarqué aux Amériques parce que sa mère a gagné au loto, alors tout ça, ça ne dura pas.

Un beau jour, l'organisation de la protection des enfants, ou la DAS mais à la mode anglaise, frappa à la porte de cette merveilleuse petite famille. Et bien oui, un type dans leurs bureaux avait décrété qu'Elliot et sa petite sœur n''étaient pas à leur place chez leurs parents et que ceux-ci n'étaient pas en mesure de s'en occuper convenablement. Ainsi donc les deux gamins furent embarqués par des hommes baraqués à grands renforts de cris et de larmes parce qu'arracher des gosses à leur famille, c'est vraiment pas humain. Mais les parents ne purent évidemment rien pour leurs deux enfants qui montèrent dans une grosse voiture noire, déteignant fortement avec la misère du reste du quartier, et disparurent derrière des vitres teintées. Pour Elliot, ce fut la dernière fois qu'il vit ce quartier, et ses géniteurs. Pour sa sœur, il n'en a aucune idée. Ils furent séparés dès leur arrivée à l'orphelinat le plus proche.

Elliot aurait pu gravement manquer de pot et se retrouver enfermé dans cet orphelinat jusqu'à pas d'âge. Chose qui l'aurait grandement horripilé parce que tout dans cet immonde établissement le rejetait : ses murs, ses lits, ses salles, ses habitants. Surtout ses habitants. Parce qu'il avait beau prétexter avoir treize ans, tout le monde le prenait pour bien plus jeune. Et ça l'énervait. Alors il passait son temps dans son coin, habitude qui lui resta bien vite et pour longtemps. Mais donc non, Elliot eut certainement de la « chance ». Il ne savait pas trop par quel moyen c'était arrivé, un jour qu'il traînait sur son lit avec un livre qu'il avait volé à la bibliothèque, un sale garnement oui, un membre du personnel et une dame d'un âge avancé étaient venus le voir. Il avait immédiatement planqué son livre pour faire l'analyse détaillée de la femme. Il ne savait pas qui c'était, mais il avait envie de l'épater pour le coup.

« Bonjour mon garçon, sais-tu qui je suis ?
-Hm... je dirais que vous êtes étrangère. Américaine. Vous avez pris l'avion il y a deux semaines pour rendre visite à votre... sœur qui habite dans le quartier commerçant. Elle est vendeuse de bijoux, elle vous a offert la bague que vous ne portez pas car elle vous fait mal au doigt, majeur de la main gauche. Vous êtes ici parce que votre sœur vous a persuadé de vous occuper d'un orphelin puisque vous n'êtes pas mariée et que vous n'avez pas d'enfant et que vous voulez toujours aider votre prochain...
-Elliot, ça suffit ! Pardonnez-le madame...
-Non, non, ça ne fait rien. C'était très intéressant. Et comment sais-tu toutes ces choses mon garçon ?
-C'est facile. Vous avez un accent, typiquement américain, et si vous venez de si loin, vous n'êtes certainement pas là pour peu de temps. A cause de la neige, tous les vols sont impossibles depuis une semaine, donc ça vous fait minimum deux semaines. Vos chaussures ont des traces de poussière, or il n'y a que dans le quartier commerçant qu'on procède à des travaux en ce moment. Si vous êtes ici c'est probablement pour de la famille, votre sœur parce que vous avez sa marque de rouge à lèvre sur la joue. Vous portez la marque d'une bague ce qui prouve qu'elle devait être trop serrée, donc offerte. Le reste était simple déduction, parce que vous n'avez pas d'alliance, que vous portez une croix en or soigneusement nettoyée tous les soirs et que je vois mal ce que vous feriez ici sinon. »

Il aimait ça. Se la péter. Il adorait ça, même. Faut dire qu'il en avait pas eu trop l'occasion ces dernières années. Personne n'avait les nerfs assez solides pour le supporter plus de quelques minutes. Les autres le fuyaient comme la peste, il ne comprenait pas toujours pourquoi d'ailleurs. Enfin, on va dire qu'il faisait semblant, pour essayer de passer pour le malheureux dans cette histoire, alors qu'il était clair que c'était les autres, ceux qui tentaient vainement de le côtoyer. Et qui finissaient par tout se manger dans la gueule. Mais revenons-en au temps présent. Ou passé. Au choix.

« Je sais pas si vous me supporterez longtemps.
-Je crois que c'est plutôt toi qui risque de ne pas me supporter, mon garçon. »

Il regardait le paysage. Enfin, plutôt l'amoncellement de nuages devant ses yeux, pour être plus exact. Il était pas assez grand pour voir plus bas. Et puis il en avait pas spécialement l'envie. Il n'avait pas peur du vide, mais bon, c'était la première fois qu'il prenait l'avion, alors il manquait un peu d'habitude. Son départ de l'orphelinat n'avait pas été spécialement émouvant, étant donné qu'il n'avait aucune affinité avec personne là-bas et que l'unique garçon avec qui il avait réussi à sympathiser un minimum était parti quelques mois auparavant. Les règlements des papiers et toutes ces choses administratives qui ne l'intéressaient absolument pas ne prirent pas beaucoup de temps. A peine trois jours après la visite de la dame, il repartait avec elle. Il était content de partir. Oh, bien sur, il n'était pas assez dans son monde pour avoir déjà oublié sa famille originelle, mais il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour se résoudre au fait qu'il ne la reverrait certainement jamais. Alors cette femme était en quelque sorte une aubaine. Elle avait manifesté quelque chose qu'avant elle, personne n'avait fait à son égard, si ce n'était ses parents et sa petite sœur : de l'intérêt. Plutôt que de le rabrouer sur son manque de tact, elle avait trouvé sa prouesse admirable. Ça avait suffit à Elliot pour savoir qu'elle serait capable de le supporter. Même s'il tendait à dire le contraire. Comprenez-le, c'était plus fort que lui.

Ainsi donc Elliot fut adopté par cette américaine, qui résidait dans une charmante ville où semblait vivre et avoir vécu des types assez exceptionnels. Au départ, il n'y fit pas attention, cette ville n'était pas réellement la sienne. Et puis ces histoires de dons et de supers-pouvoirs, il n'y croyait pas spécialement. Il n'y avait rien de rationnel là-dedans, alors ça ne l'intéressait pas. Pourtant il aurait dû. Parce que ça lui tomba dessus, à lui aussi. Enfin, il eut un sacré mal à s'en rendre compte. Faut dire que ça pouvait pas se deviner comme ça. Au départ, il se persuadait que ce n'était qu'un problème hormonale, que ça viendrait, que c'était normal pour un garçon d'avoir une poussée de croissance tardive. Et puis les mois passés, voir les années. A seize ans, il avait le physique d'un gamin de treize ans. Et ça ne bougea pas. Il ne prit pas un centimètre. Il avait beau se mesurer chaque fin de mois, sous le regard compatissant de sa mère adoptive qui comprenait son complexe mais qui ne savait pas comment s'y prendre pour l'aider, rien ne changeait. Rien du tout. Et ça l'énervait. Il fut tellement obsédé par le problème qu'il ne voulut plus mettre un pied à l'école. Il faut dire qu'en plus des rumeurs à propos de son caractère de chien, il était traité comme un nabot par tout le monde. Et il ne supportait pas ça. Alors un beau jour il piqua sa crise, fallait bien qu'il le fasse un jour où l'autre, et il ordonna des cours à domicile.

A vrai dire, ça ne posait pas spécialement de problème. Parce que la brave dame qui avait sa garde était pour le moins fortunée et que ce n'était certainement pas huit heures de cours dans la semaine qui allaient la ruiner. Et puis c'était pour le bonheur de son fils. Oui, elle n'avait jamais cessé de le considérer comme tel une seconde. Elle l'aimait comme on aime son enfant, son fils unique qui plus est. Alors Elliot faisait partie de cette catégorie nommée enfants rois. Et il en profitait un maximum. Oh, certes, il avait un certain respect pour elle, mais dès qu'il sortait de l'enceinte de la propriété, il devenait un véritable garnement. Et puis comme il avait toutes les libertés qu'il voulait et que sa mère ne lui refusait jamais rien, il coulait une vie tranquille. Véritablement tranquille. Vraiment, à part ce problème de croissance, il n'avait aucune raison de se plaindre.

A dix-huit ans, il avait obtenu l'équivalent américain du baccalauréat, en candidat libre. A dix-neuf ans, il voulut s'engager dans des études plus approfondies. Mais évidemment, ce ne fut pas possible. Personne ne le prenait au sérieux. Faut dire que c'est pas facile de vivre avec le physique d'un adolescent de treize ans. Doutez-vous bien qu'il avait commencé à se poser des questions. A dire vrai, il avait été jusqu'à consulter un médecin. Mais ça ne lui avait rien appris à part qu'il avait des problèmes de cœur et que son code génétique semblait programmé pour qu'il ait une jeunesse très longue. Très très longue. Mais bon, à part ça, que dalle. Il se retrouva donc ainsi, complètement largué avec cette étrange malédiction sur le dos. Et absolument personne d'assez crédule pour croire qu'il avait une « malformation dut à une mauvaise poussée de croissance et des gènes sous-développés bande de débiles ! ». Non, vraiment, t'es pas sensé mesurer un mètre soixante à dix-neufs ans. Alors Elliot refit une crise digne d'un vrai adolescent, cette fois. Et les tentatives pour le calmer de sa mère adoptive n'arrangèrent rien. Monsieur ne voulait rien savoir. Monsieur en avait marre de la vie. Monsieur voulait qu'on le prenne au sérieux. Monsieur traitait tout le monde de clampin. Monsieur voulait faire de grandes études. Monsieur n'était pas content. Alors monsieur fugua.

C'est vrai que vu son âge, on peut pas vraiment dire que c'était une fugue à proprement parler. Mais pour les autorités que sa mère alerta, c'était bien un « adolescent d'environ treize ans, cheveux bruns, yeux bleus, fils adoptif d'une riche propriétaire de la ville, parti seul et sans défense de chez lui ». Seul et sans défense. C'était le cas de le dire. Son caprice avait consisté à se barrer de chez lui où il avait tout pour trainer dans les rues où il n'y avait rien. Mais c'était sans compter sur son intelligence hors norme oui je lui jette des fleurs. A force de passer ses nuits dans des ruelles sombres où il ne fait pas bon rester le soir, il rencontra des gens pour le moins peu fréquentables. Mais avec sa bouille d'ange et ses mots doux, il sut bientôt se faire voir auprès de personnes de plus en plus éminentes au sein de cet étrange monde des bas-fonds. Après tout, ce n'était pas comme s'il ne l'avait jamais connu. A Londres, c'était déjà un peu comme ça, sauf qu'il était bien trop jeune pour s'en rendre compte. Et maintenant qu'il voyait toutes les choses qu'on pouvait y faire, il se rendait compte qu'il avait tout à y gagner en restant là. Bien évidemment, ce qui est écris plus haut ne se fit pas en cinq jours, vous vous en doutez. Il est donc important de préciser que le dossier d'Elliot comme « porté disparu » fut classé au bout de six mois et que encore six mois plus tard, personne ne savait toujours pas où il était, ce qu'il faisait ni quoi que ce soit d'autre à propos de lui. Il avait juste disparu.

A priori, pour tous ceux qui l'avaient connu, il était mort. Il n'était en tout cas pas sensé réapparaître à la première occasion venue. Et pourtant, c'est ce qu'il se passa. Il aurait dû avoir vingt-deux ans, on lui en donnait encore quinze. C'était un peu plus qu'avant, mais pas encore assez à son goût. Pourquoi était-il réapparu ? Parce que sa mère venait de décéder. Et oui les amis, ce sont des choses qui arrivent. Et comme il avait encore un minimum d'honneur et que cette femme qui l'avait élevé comme son fils était quelqu'un pour qui il avait un profond respect, il était venu à l'enterrement. Et puis n'oublions pas l'héritage. Ça aurait été trop bête de le laisser aux mains de l'État. En plus on pouvait pas lui refuser parce que sur son acte de naissance, il était tout à fait en âge de récupérer le magot. Il récupèrera donc le manoir, les terrains, les voitures et tout ce qui lui revenait de droit. Et il se retrouva avec un sacré pactole sur les bras. Mais c'était pas pour lui déplaire.

Elliot avait profité de ses quelques années sabbatiques pour suivre une formation disons particulière. Étant devenu le chouchou d'un dealer plutôt éminent de la ville, il avait eu le droit aux exercices de combat et toutes ces choses qui avaient fini par faire de lui un assez bon garde du corps. En plus de régulièrement épater les gens qui l'entouraient avec ses déductions précises, il avait fini par se forger une certaine réputation auprès de son entourage. Mais le décès de sa brave maman qui se serait certainement retournée dans sa tombe si elle avait appris ceci lui permis de prendre son envole. Il se déclara « apte à faire toutes les sales besognes dont vous ne voulez plus » parce que ça le divertissait grandement et s'établit une sorte de base au manoir qui lui appartenait désormais. Les rumeurs finirent par faire courir le bruit qu'un « sale garnement bourré de fric » descendait les gens qui le gênaient les uns après les autres comme un adulte et qu'il faisait pas bon de se retrouver en face de lui. Ça lui plaisait. Après toutes ces années, on finissait par reconnaître sa supériorité. Malgré son apparence d'adolescent. Il était enfin reconnu comme un adulte. Il est certainement bon de préciser qu'à l'ouverture de l'école pour super-héros, il avait pris conscience que son arrêt sur âge était dû à un phénomène surement similaire à celui des élèves de l'école, mais elle était arrivée trop tard pour le repêcher dans sa descente aux enfers.