Ma camarade de chambre saute d'un bond assez souple et atterrit sur la moquette au sol. Je me demande si c'est un exercice courant de faire ça, ici. Si c'est le cas, je devrais vraiment commencer à m'entraîner, sinon ça risque d'être compliqué. Je jette un coup d'œil à mes jambes maigrelettes : auront-elles la force de tenir le coup ? Il faut que j'essaie de me muscler un peu, sinon je passerai vite pour la faiblarde de la classe. Certes, ce n'est pas ma faute, mais même !
La fille me fixe d'un air curieux, puis détourne brusquement les yeux. Je lui fais peur, c'est pour ça ? Je porte machinalement la main à mes cheveux turquoises. C'est vrai qu'ils étaient plus jolis lorsqu'ils étaient blonds, et attiraient un peu moins l'attention. Mais je ne veux pas... effrayer les gens. Ainsi je ressemble surtout à une petite extra-terrestre, je comprends qu'elle ne veuille pas me regarder. Au moins, ainsi j'ai moins l'impression d'être un objet, impression que je ressentais lorsque médecins et scientifiques m'examinaient.
La japonaise fait une petite courbette devant moi, avant de me souhaiter la bienvenue. Je reste un moment dubitative. Est-ce la coutume de s'incliner devant les autres avant de les saluer ? Papa et Maman ne m'ont jamais rien appris de tel pourtant ! Mon regard se porte sur ses yeux, de couleur différente, et je lâche d'une voix que j'espère assez claire :
«Je vous remercie de votre accueil, Madame Asura.»
Cette phrase... je dois l'avouer, elle provient d'un livre que j'ai lu, il y a longtemps. Au moins ainsi je suis certaine que je ne fais pas de faux pas !
Mes yeux passent de ses yeux vairons à ses cheveux bleus. Je me demande un instant s'ils sont colorés artificiellement, ou si c'est naturel. J'ouvre la bouche pour le lui demander, pensant peut-être un instant que je ne suis pas la seule ici à avoir reçu un mutation changeant la couleur capillaire, mais elle me coupe dans ma lancée, m'annonçant, l'air gêné, qu'elle a pris la couchette du haut. Mon regard dévie de direction, pour finalement se poser à un des points de souture.
«Ce n'est pas grave, dormir en bas me convient tout à fait.», je répond distraitement.
Aurais-je en face de moi une autre habituée des hôpitaux ? Je regarde une petite cicatrice se trouvant sur ma main gauche. La marque des intra-veineuses, reliées à moi si longtemps qu'elle ne s'effacera sans doute jamais.
Je tourne la tête en direction de la porte. Derrière se trouvent mes parents, se demandant sûrement ce que je suis en train de faire.
Ma colocataire interrompt le cours de mes pensées, avec un petit «Ah, et au fait, pour les femmes non-mariée, on dit Mademoiselle…» gêné.
«Je... je suis vraiment désolée Mademoiselle Asura... je ne referai plus jamais cette erreur..., je répond, ressentant soudainement l'envie de me terrer sous mon lit. Mais... dites moi, comment peut-on être sûr qu'une personne est mariée ou non ?, je demande, osant poser une question qui me brûlait les lèvres.
Chaque femme que j'ai rencontrée, mis à part Maman, je devais l'appeler Madame. Je connaissais bien sûr le mot «mademoiselle» en anglais, mais ne comprenait pas vraiment ses conditions d'utilisation.
Je baisse la tête. Il est vrai que mon interrogation peut rapidement me faire passer pour quelqu'un de véritablement stupide, ce que je ne pense pas être.
Je décide de parler à mon tour, afin d'essayer de faire passer le malaise entre nous.
«Sinon, que faisiez-vous avant mon arrivée ?
Je me mordille légèrement les lèvres. J'espère qu'elle ne me juge pas trop mal. Enfin, je veux dire, qu'elle me voie comme une fille normale qu'elle pourrait apprécier.
Je prends une grande inspiration, et continue :
«C'est bien, nous avons la télévision dans cette chambre.»
Je désigne l'objet en question d'un petit mouvement de tête, mes yeux ne quittant pas ceux de ma colocataire. C'est vrai qu'ils sont étranges. Mais je les trouve jolis.
J'essaie d'esquisser un petit sourire. J'espère que j'ai l'air de quelqu'un de gentil et sympathique. Quelqu'un de pas trop bizarre.

Mlle Asura a l'air d'être bien mal à l'aise. Tout comme moi, d'ailleurs.
Elle n'a pas l'air d'apprécier que je la regarde dans les yeux. Peut-être que c'est... mal de faire ça...
Je dirige aussitôt mon regard à quelque chose de plus bas : mes pieds.
Elle m'explique, en passant nerveusement sa main dans les cheveux qu'elle jouait à sa console.
Ce à quoi je réponds :
«Je... Je n'ai jamais joué à Pokémon. En fait je n'ai jamais eu de jeu vidéo, mes parents trouvaient ça inutile. Mais... je... il... tu... tu as le droit d'aimer...»
Les yeux toujours baissés, je me mordille les lèvres. Je n'ai visiblement pas le don pour parler aux autres.
Ma camarade fait référence à son ancienne chambre, ou apparemment il n'y avait pas de télévision.
«Ça fait longtemps que tu étudies ici ?», je demande timidement.
Elle allume l'écran de la T.V. Elle a l'air d'être assez ennuyée par la chaîne d'informations. Comme moi, d'ailleurs, lorsque ces dernières concernent une guerre et des enjeux politiques.
Elle me tend la télécommande d'un geste presque solennel, avant de rajouter d'une voix douce qu'elle m'autorise à la tutoyer. J'ai toujours vouvoyé les autres, mis à part mes parents. Quoique ce n'est pas non plus comme si j'avais déjà croisé des gens de mon âge.
«Est-ce que vous.... tu m'autorises aussi à t'appeler par ton prénom ? »
J'avais lu dans un livre il y a longtemps que lorsque l'on s'adressait à une personne qu'on ne connaissais pas, en Amérique, il était coutume de l'appeler par son nom de famille. Raison pour laquelle je n'ai jusqu'à présent pas osé la nommer Ririko, comme l'aurait voulu la tradition islandaise. Mais peut-être que ce n'est plus d'actualité...
J'appuie sur le bouton de la commande qu'elle m'a gentiment tendue, et change de chaîne, pour finalement mettre Discovery Sciences.
«Tu aimes les sciences ?», je lui demande d'une voix teintée de curiosité.
Je jette un coup d'oeil à la télévision. Un documentaire sur les animaux polaires. Ce n'est pas ce que je préfère, mais ça me convient tout à fait.
Moi, j'adore ça !, je rajoute avec un grand sourire.
Ah, je commence à me sentir un peu mieux en évoquant ce sujet qui me tient tant à cœur !
Je ramène mes longs cheveux turquoises en arrière d'un mouvement légèrement tremblant. J'ose seulement espérer que ma colocataire ne me prendra pour pour quelqu'un de... spécial. Quoiqu'après réflexion, je le suis. Ce n'est pas tout le monde qui se relève d'une maladie grave en pouvant en prime intégrer la prestigieuse école pour héros américaine.

Mon visage s'éclaire d'un large sourire tandis que ma camarade me propose de m'apprendre à jouer à pokémon.
"Oh oui, avec plaisir !", je m'exclame avec enthousiasme. Ça me fait vraiment plaisir que quelqu'un souhaite me transmettre quelque chose. J'ai toujours adoré découvrir de nouvelles choses, qu'importe le domaine. Et quelqu'un d'aussi passionné que Mlle Asura semble l'être ne peut être qu'un bon professeur.
J'espère en tout cas que ça sera intéressant.

Lorsque je lui demande s'il serait possible de l'appeler par son prénom, elle esquisse un sourire désolé, avant de m'expliquer que ça va à l'encontre des coutumes de son pays.
Un peu gênée d'avoir pu commettre cette erreur, qui pourrait avoir de l'importance aux yeux de ma colocataire, je répond d'une petite voix :
"Très bien, je t'appelerai Asura-chan dans ce cas. En revanche tu peux m'appeler Alyssa sans problème. En Islande, c'est assez différent de chez toi à ce que je vois, puisque tout le monde s'appelle par son prénom. La plupart des habitants n'ont même pas de nom de famille !"

Je joue nerveusement avec mes cheveux tandis qu'elle m'annonce ne pas vraiment s'y connaître en sciences.
C'est vrai que Papa m'avait bien expliqué que pas tout le monde appréciait les mêmes choses que moi, et qu'on ne pourrait rien y faire.
Mais je ne peux m'empêcher d'éprouver une petite pointe de déception. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être parce que je m'attendais à retrouver ici quelqu'un qui me ressemble par mon intelligence. Mais peu importe.

Asura-chan me demande ensuite en se mordillant les lèvres en quoi consiste mon don. Elle a l'air de regretter son geste, je me demande pourquoi. Peut-être il y a t'il un tabou sur ça à l'école ?
J'affirme sérieusement :
"Je n'ai pas un don à proprement parler. En réalité, suite à des effets secondaires d'un médicament, mon génome a suivi une mutation, qui m'a donc rendue différente des autres. Peut-être que cette anomalie est temporaire, ou peut-être qu'elle évoluera, je ne sais pas. Enfin bref, tout ça pour dire que je peux modifier les couleurs de mon corps à loisir."
Afin d'accentuer mes propos, je colore mes yeux en jaune et mes cheveux en vert pomme, puis les fais redevenir comme avant.
"Pas très utile en combat, mais ça peut servir pour se camoufler. Enfin, je suppose, puisque je ne l'ai jamais utilisé en dehors du laboratoire où j'étais examinée...", j'ajoute en passant la main dans ma chevelure.

Après une courte pause, je finis par lui demander d'une voix assez curieuse :
"Et toi, à quoi consiste ton pouvoir ?
Je ne sais pourquoi, mais elle avait l'air de redouter cet instant dès qu'elle a commencé à me parler. Mais peut-être que je me trompe, car je n'en vois pas la raison.