I. Ne t’inquiète pas je t’aiderai.
Enfant, Aton vivait dans une ville assez pauvre d’Egypte. Sa mère, Saïda, était celle qui faisait vivre la famille avec des petits boulots dont elle ne préférait pas parler à son fils –totalement répressibles par la loi et la religion, elle vivait ça comme une honte terrible. Les gens pensaient qu’elle travaillait comme femme de ménage chez quelqu’un d’une grande ville. Elle était une merveilleuse conteuse et trouvait toujours d’extraordinaires aventures à lui narrer, autant la concernant elle que son mari.
En effet, le père d’Aton était quelqu’un… D’absent. Autant physiquement que mentalement. Oh, certes, il n’était jamais loin, une petite cabane à l’écart de la ville où Allah seul sait ce qu’il faisait. Enfin, si, sa femme s’en doutait, et ça l’effrayait. Car son mari n’était pas féru de ces choses… scientifiques… au début. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il lui avait pris d’engloutir leurs économies dans cette cabane de tôles et dans ses instruments inutiles. Il avait tellement changé avec les années.
Mais de ça, Aton était ignorant. Lui-même était un peu particulier. En effet, il était né avec des yeux d’un rouge peu commun et… une certaine résistance à la chaleur. Dans un pays où le soleil tapait assez fort, il frissonnait parfois et pouvait se balader très couvert sans avoir de problème –il avait étrangement la peau froide. Il eut très tôt conscience que ce n’était pas normal et faisait son possible pour passer inaperçu –ce qui lui valut d’ailleurs une certaine habileté à chaparder. Déjà enfant, il n’éprouvait pas de remords à faire ça. Il ne se disait même pas que c’était pour aider sa famille non. Les gens avaient juste besoin de mieux protéger leurs biens, c’est tout.

C’est dans ce contexte quelque peu particulier qu’évoluait Aton, entre une mère affabulatrice et un père qui rentrait de temps à autre à la maison, et pourtant toujours loin d’eux dans sa démence. Il ne sait plus trop quand, mais il finit par ne plus être dupe du manège de sa mère et de la prétendue bonne santé mentale de son père. Mais il fit comme si ce n’était pas le cas et feignait gober les sempiternelles fabulations de sa mère. Il fit semblant. Semblant de croire que quelque chose était encore simple ou innocent dans ce monde.

Un jour pourtant, quelque chose changea. Un des rares jours d’hiver où une pluie bienfaitrice s’abattait sur le pays, Aton grelottait. Il était vraiment sensible aux changements de température et celui-ci avait été trop brusque. Ce jour-là, son père rentra tôt à la maison, prétextant « une légère inondation ». Il toisa son fils recroquevillé dans un coin de la pièce principale –il n’y en avait que trois- et eut un sourire en coin.

« - Ne t’inquiète pas, je t’aiderai. »

Ce sourire effraya le garçon. Ce n’était pas une promesse d’aide. D’ailleurs, quelques jours plus tard, son père le prit à part. Il avait une mine très sérieuse, comme s’il allait lui annoncer que, finalement, la terre était bien plate.

«- Je pense que tu es assez grand maintenant, tu as le droit de savoir. »

Il l’emmena dans sa cabane branlante. Le souvenir qu’a Aton de la suite est très enfumé. Il ne se souvient plus très bien dans quel ordre se sont passées les choses, mais une est claire : son père faisait n’importe quoi.

«- Je me suis beaucoup renseigné sur les modes scientifiques actuelles, tu sais, fils. Mais je crois qu’ils ne pensent pas assez à la religion. Prier, c’est important pour que toute chose fonctionne. Mais on a aussi besoin de choses matérielles pour arriver à quelque chose. »

Il n’avait rien compris. Prières. Plantes. Produits suspects obtenus au marché noir. Il avait fermé les yeux, gêné par la fumée, plissé le nez, incommodé par les odeurs d’encens mélangées à d’autres âcres de sources inconnues. Il se souvient avoir tourné de l’œil sous les explications, les odeurs, la fumée, les paroles, les prières, toujours les odeurs, le mal de tête.

II. N’est-ce pas merveilleux ?

Lorsqu’Aton se réveilla, il tremblotait toujours et la pluie faisait un bruit énorme en s’écrasant sur les taules de la cabane. Son père le regarda avec un sourire dément.

«- Tu as froid. Touche mon bras. »

Le garçon n’avait pas compris, mais il le fit. Il sentit la peau de son père se refroidir légèrement, et pourtant, ça ne le gêna pas. Parce que lui avait chaud. Il sourit.

«- N’est-ce pas merveilleux ? Tu es capable de prendre ma chaleur pour ne plus avoir froid ! Tout ça grâce à la technologie scientifique et aux dieux que j’ai prié ! Allah y naourek ! »

Le garçon hocha la tête, content de sentir une douce chaleur parcourir ses veines, mais totalement hermétique au discours de son père. Il se fichait de savoir grâce à quoi il pouvait avoir chaud.

«- Tu peux arrêter maintenant, je vais finir par attraper un rhume, fils. … Fils ? »

Il ne l’écoutait pas. Il voulait avoir chaud. Son père dégagea son bras, mais Aton s’y accrocha et s’y cramponna. Il voulait avoir encore plus chaud. Il voulait savoir ce que ça faisait de ressentir tout à fait le soleil tapant de l’Egypte. Il entendit son père crier, le sentit se débattre, mais lui, il s’agrippait à son bras comme si sa vie en dépendait.
Ils finirent par tomber tous les deux à terre, et Aton lâcha prise. Il soupira de bonheur puis tourna les yeux vers son paternel. Sur le visage de celui-ci flottait une émotion de peur, sa peau était blanche, à la limite du bleu. Le garçon fronça les sourcils et toucha sa joue. Il était glacé. Il se releva, contempla l’homme et l’évidence le frappa. Il était mort.
Son père était mort. De sa main. Sur le coup, Aton se dit que ce n’était pas une grosse perte. Il était fou et risquait un jour de faire du mal à quelqu’un. Après, il se demanda si sa mère ne serait pas trop triste. Mais elle avait l’air tellement fatiguée par la vie et son mari que ce ne serait sûrement pas le cas.
C’est donc sans regrets qu’il quitta le cabanon, qu’il prit soin de faire s’écrouler le petit bâtiment, qu’on croie un minimum à la thèse de l’accident si le corps devait être trouvé.

Lorsqu’il rentra chez lui, sa mère se précipita sur son enfant.

«- Mon fils, mon fils ! Mais que t’est-il arrivé ? Tes cheveux ! Leur couleur !
- Je vais bien, máma. Baba m’a aidé. »

Il toucha le bras de sa mère et ressentit la chaleur qui s’insinuait en lui. Sa mère se retira brusquement en lâchant un « Khemsa Fi Einek ! » effrayé. Elle se frotta le bras à l’endroit où son enfant l’avait touché et le regarda de travers. Ce dernier sourit doucement et voulu lui expliquer.

«- Baba a fait quelque chose pour que je puisse être comme tout le monde. Je peux avoir chaud en touchant les gens. »

Sa mère parut plus effrayée qu’heureuse pour lui. Il détourna les yeux, un peu embêté.

«- Mais… Il y a eu… Un accident. »

III. Tu devrais partir.

A partir de ce jour, sa mère ne porta plus sur lui que des regards empreints de peur. Pourtant, Aton continuait à être gentil avec elle, parce que, même si elle lui mentait, il l’aimait beaucoup, elle et ses histoires. Mais chaque fois qu’il la touchait, elle ressentait une vague de froid, elle ne voulait donc plus du tout l’approcher. Ils n’avaient jamais reparlé du père, c’était devenu une sorte de secret honteux dont la mère ne connaissait pas les tenants et aboutissants. Ses histoires devenaient froides et un jour, elle finit par ne plus lui en raconter le soir.

«- Tu devrais partir. »

Elle lui lâcha ça, un jour, comme une bombe. Aton ne comprit pas. Et pour la première fois, il vit sa mère perdre totalement son sang-froid.

«- Fils ! Tu ne vois donc pas le problème ? Dès que tu touches quelqu’un, cette personne a froid ! Tu trouves ça normal toi ? C’est le mauvais œil que ton père a abattu sur toi, pas la providence d’Allah ! Et parlons-en, de ton père ! Je sais, je sens que ce n’était pas un ‘bête’ accident, fils ! Tu me fais peur, Aton. Tu as changé. Je veux que tu partes. »

Autant de coups de massue que de mots prononcés. Sa máma, en qui il avait confiance, malgré les mensonges –mais c’était pour le protéger !- et la distance qu’elle avait installé. Il resta comme deux ronds de flanc devant elle.

«- Máma, tu rigoles n’est-ce pas ? Où veux-tu que j’aille ? Pourquoi… Tu ne veux plus de moi ?
- Ecoute, je ne sais pas, mais les gens commencent à parler, c’est mauvais pour ma clientèle. Ces derniers temps j’ai beaucoup plus travaillé pour que tu puisses partir d’ici. Mais tu ne resteras plus ici, je ne veux plus d’un être maudit sous mon toit. Tu fais aussi peur aux voisins Aton, non, non je ne veux plus ! »

Complètement abasourdi par les paroles de sa mère terrifiée et en colère, il ne sut qu’ajouter. C’était la première fois qu’elle parlait ouvertement de ce qu’elle faisait. Ça ne lui servait à rien de rester dans un lieu où il n’était pas désiré, même si ça lui faisait mal de quitter une des seules personnes qu’il aimait un tant soit peu. Il ne voulait pas rester dans un lieu où cette personne aurait peur de lui. A partir de la seconde où Aton se tourna pour aller remplir un sac de ses affaires, il ne prononça plus jamais un seul mot à sa mère.

IV. Bienvenue, mon mignon.

C’est ainsi qu’Aton quitta l’Egypte. Il eut droit à «l’asile» en Amérique et commença une nouvelle vie là-bas. Ce fut dur, il avait eu tout juste pour le voyage et quelques agréments en arrivant, sa mère n’ayant pas pu réunir plus. N’ayant donc pas beaucoup d’argent en réserve, le logement qu’il se trouva n’était pas dans un endroit franchement enviable. Tout changeait tellement par rapport à chez lui. Il n’a pas honte de dire qu’il était totalement paumé les premiers mois. Rien ne fonctionnait comme il le pensait et il passa une période un peu sombre avant de se mettre au rythme de là où il avait atterri. Le jeune homme avait la chance d’être quelqu’un de difficilement perturbable, il aurait autrement probablement sombré dans une douce folie. Enchaînant petits boulots sur petits boulots, il découvrit la ville qu’il finit par vite bien connaître. Et pas forcément ses meilleurs côtés.

«- Bienvenue, mon mignon. Toi, tu as la tête d’un garçon qui ne sait pas où il a mis les pieds~ ♥ »

La femme qui se tenait face à lui était une beauté comme il n’en avait jamais vu. Il fit ce jour là la découverte du monde de la prostitution. Cela lui plut énormément, était-ce dû à ces hormones adolescents… Restait néanmoins un problème. Il ne pouvait toucher quelqu’un sans le vider de sa chaleur, et cette première expérience fut… La dernière pour la femme plantureuse. Lorsqu’il se rendit compte de ce qu’il avait fait, Aton resta calme. Il avait déjà vécu cette situation. Il savait ce dont il était capable. Il se doutait que ç’aurait pu arriver. Et terminer sur cette note… N’avait pas été désagréable du tout, en fait. Après tout, ça faisait un peu comme si cette femme lui avait appartenu. Personne d’autre ne l’aurait.
Il ne sait pas trop comment il a réussi à ce sortir de ce mauvais pas sans se faire retrouver. Peut-être parce qu’il avait appris à ne pas se faire voir dans son enfance, à être furtif et invisible aux yeux des autres. En tout cas, il voulait recommencer, c’était sûr. L’Egyptien resta prudent, changea d’endroit et laissa de grands intervalles entre ses… « visites ».
Il vécu passablement de cette manière, durant quelques années. Il se rendit aussi compte que, pour pouvoir faire quelque chose de sa vie, ici, il fallait savoir avoir un avantage non seulement physique, mais aussi « intellectuel » sur les autres. Il fréquenta beaucoup les bibliothèques durant cette période de sa vie. Ce qui était assez paradoxal avec sa vie nocturne. Vie nocturne, qui, il le savait, le sentait, serait un milieu où il pourrait être supérieur aux autres. Il adorait ça. Il comprenait que c’était un milieu où il pourrait se sentir supérieur. S’il arrivait à grimper les échelons, il ferait des choses merveilleuses. Il ne savait pas pourquoi, mais il était vraiment fasciné par tout ça. Le monde de la nuit était un monde libre.  

Un jour, Aton se dit qu’il savait tout ce qu’il y avait à savoir. Sauf une chose : comment arrêter de tuer lors d’un contact prolongé ? Durant des mois, il tenta de se documenter, mais rien n’y faisait, son cas n’était référencé nulle part. Il avait 20 ans, et l’Egyptien voulait faire quelque chose de sa vie sans tuer clients et employés. Par hasard, il entendit un jour une des filles parler d’une nouvelle école étrange dans une ville voisine. Des « héros » avait-il ouï. Intrigué, Aton s’y était rendu.

C’est ainsi que l’Egyptien fit son entrée à la Heroe’s SUP. Une école pour contrôler des ‘pouvoirs’ et les mettre au service du ‘bien’. Tant qu’on lui apprenait à ne plus voler toute la chaleur des gens lorsqu’il les effleurait, ça lui allait bien. Pour le reste, il aviserait après. Peut-être n’était-il pas tenu sous serrement à devenir fervent servant su bien à la sortie de l’établissement.
L’Egyptien était un élève que les autres appréciaient en général, parce qu’il était foncièrement aimable. Il avait remarqué que paraître tel qu’il était réellement rebutait souvent les gens, et durant ses années de scolarité, il apprit à se construire un masque de bienséance en société.

Après deux ans dans l’école qui l’ennuyait prodigieusement –heureusement que les cours lui étaient utiles…-, il estima qu’il en savait assez. Il avait relativement facilement réussi à maitriser son… « pouvoir ».
Aton se fit naturellement oublier de la HSUP. Il garda vaguement contact avec quelques amis qu’il s’était fait là-bas, et ouvrit une petite librairie. En parallèle, il développa dans son… Arrière-boutique, un autre commerce, beaucoup moins légal. Se faire un nom dans le milieu de la prostitution ne fut pas très difficile, car la ville pullulant de héros, peu souhaitaient risquer leur carrière ici. Mais quoi de plus excitant qu’un peu de danger… ? Il se fit tout seul, et décida qu’il ferait tout seul. Pas de gros bras, rien que lui et ses filles (et accessoirement mecs, parce qu’il faut de tout). Comme il le dit toujours « la qualité prime sur la quantité ».

C’est ainsi que, en quelques anénes, Aton est désormais devenu un proxénète influant de la ville, avec un commerce ‘petit’ et pourtant connu dans les bas-fonds, et un libraire plutôt aimé dans son quartier.