Ça a commencé quand sa mère s’est foutue en l’aire, peu après son entrée en primaire. Elle avait dû capter un truc et se rendre compte qu’elle était complètement impuissante. Reste que, quand les camarades de Dee ont commencé à le mettre de côté à cause de sa ‘différence’, sa mère a rien trouvé de mieux que de fuir le problème. De façon sale, en plus.
Ça s’est passé un peu avant quatre heures du matin, à la fin de l’hiver. La maison était encore froide, ses parents tenaient à ne chauffer uniquement durant la journée, pour l’écologie soi-disant. Ils possédaient un fusil de chasse dans une armoire fermée à double tour, même Dee le savait. Durant la saison, son père aimait bien s’exiler avec quelques amis pour aller tirer l’élan ou le lièvre. Il ne revenait pas avant deux bonnes semaines, des fois plus, et vu que sa mère bossait, elle plantait sa petite tête blonde devant Sesame Street. Mais cette fois, le fusil n’avait pas été sortit pour préparer les affaires de papa avant son départ. De toute façon, en janvier, c’était trop tard pour tirer l’élan et le lièvre.

Dee se tenait en haut des escaliers menant au cellier, sans oser descendre dans l’obscurité. Ses parents avaient l’habitude de se faire réveiller par leur enfant au beau milieu de la nuit. A cause des cauchemars, des insomnies, des soucis à l’école… Et à chaque fois, lorsqu’ils entendaient pleurnicher devant la porte de leur chambre, ils se demandaient s’ils trouveraient une petite fille ou un petit garçon. Mais là, ça n’avait plus d’importance. Le temps s’était figé. Il avait un mauvais pressentiment, une voix dans sa tête qui lui disait de ne pas descendre.
Puis la détonation résonna dans la maison, forte, assourdissante, suivie d’un bruit d’éclaboussure sordide. Le blondin tomba sur les fesses, tremblant. Il pouvait entendre son père dévaler les escaliers quatre à quatre et courir jusqu’à lui. L’homme le prit dans ses bras. La panique se lisait sur son visage. Puis, il tourna la tête en direction de l’escalier et se figea. Il n’avait pas besoin de descendre pour comprendre.

Son père ne s’en remis jamais réellement. Il était devenu absent, comme si son subconscient errait dans un autre monde. Ils déménagèrent dans la semaine qui suivit ‘l’incident’. Une nouvelle maison, sans cave, un peu plus petite. Les parties de chasse ne faisaient plus parti de leur quotidien et tout devint… Très calme. Peu de mot était échangé entre eux. Pas de ‘Comment ça va à l’école ?’ ou de ‘Comment s’est passé ta journée ?’. C’était tout juste s’ils se disaient ‘bonne nuit’ et ‘salut’ le matin. Une fois de plus, Dee passait ses journées collé devant un post de télévision, les yeux rivés sur les images chatoyantes et réconfortantes.
Les choses se compliquèrent dans sa quatorzième année. La simple indifférence de ses camarades se mua en brimade, et plus elles prenaient de l’ampleur, plus l’adolescent peinait à contrôler son pouvoir. Un mot sur un petit bout de papier lancé sur son bureau suffisait à le faire changer, ce qui provoquait des éclats de rire incontrôlable dans la classe. Ils s’amusaient à chercher mille et une façon de provoquer la transformation, certains allèrent jusqu’à aller vérifier si son apparence changeait vraiment intégralement. Et à la maison, toujours ce même silence. Dee pouvait revenir à la maison la gueule en sang et les vêtements à moitié arraché, son père ne sourcillait pas. Son goûté trônait toujours sur la table de la cuisine, ses affaires étaient toujours pliées et soigneusement rangée, mais son paternel ne manifestait aucune preuve orale de son affection.

Et un beau jour, Dee a craqué. Après une énième journée passée en enfer, après s’être une fois de plus fait accueillir par un silence froid, après avoir laissé tomber son sac dans l’entrée, il s’est mis à crier et à taper du pied. Crier qu’il n’était pas un monstre de foire, qu’il ne supportait plus le silence, qu’il détestait sa mère pour ce qu’elle avait fait. Sa voix et son apparence ne cessaient de changer sous l’émotion, et son père le fixait avec ses yeux vitreux, sans ciller. A force, le corps de l’adolescent s’épuisa, sa voix se brisa dans sa gorge et il ne fut même plus capable de tenir debout, s’effondrant sur le sol, épuisé, les poings fermés sur ses yeux larmoyants.
Le matin suivant, Dee avait disparut. Son armoire était presque vide. Un ouragan semblait être passé sur sa chambre. Son père découvrit le bazar lorsqu’il monta à l’étage pour réveiller son fils. Une fois de plus, il n’eut pas besoin de fouiller la maison de fond en comble pour comprendre ce qui s’était passé.

Dee réussit à se débrouiller un mois entier avant que la police ne le coince. Il fut compliqué de le trouver, étant donné qu’ils recherchaient un adolescent de seize ans et non pas une jeune fille. Dur pour son père de faire comprendre que oui, il pouvait autant être l’un que l’autre.
Durant ce mois, son pouvoir s’avéra très efficace. Faire du stop marchait étrangement bien sous son apparence féminine, les gens se montraient plus aimable, moins méfiant. Et puis, voler le portefeuille d’un mec soûl était si facile avec des courbes ! Sa fugue lui apprit à utiliser la source de ses problèmes comme subterfuge, à apprivoiser sa seconde image pour l’utiliser à son avantage, même si c’était pour faire le mal autours de lui. Les gens apprendraient à ne plus rire de sa différence et à le respect, de gré ou de force ; voilà ce l’idée qui s’était implantée dans son esprit. Ce fut trente jour où il traîna dans les mauvais coins, enchaîna les mauvais plans et les mauvaises fréquentations. Et pourtant, Dee se sentait mieux là que chez lui.

Mais à son retour forcé, quelque chose avait changé dans le regard de son père. En le voyant, l’homme habituellement si distant le pris dans ses bras. Une étreinte maladroite, un peu gênée, mais pas forcée. Pas de représailles, pas de jugement, juste du silence qui fut brisé par sa voix devenue étrangère. Il lui parla de la Heroe’s SUP, des recherches qu’il avait fait, à quel point, là-bas, personne ne se moquerait de lui. Le tout avec de l’entrain, du vrai, pas simulé. Et Dee se souviendra toujours des mots qu’il prononça à ce moment là, en le regardant dans les yeux, en lui souriant sincèrement :

« Tu mérites d’aller là-bas, parce que tu as le potentiel pour devenir un HERO. »