Explication du don :: Mon don à moi, on ne sait pas très bien d’où il vient. On dit que dans l’un des neufs mondes, reliés par Yggdrasill, l’arbre-monde, il y a des dragons. Des milliards de dragons. Et apparemment, mon don est lié à ce monde dont je ne connais rien. Lorsque je chante certaines mélodies, ma voix devient étrange, comme si elle résonnait très très loin. Et je peux faire apparaître des dragons. Au départ, ce n’étaient que des œufs. Il y en avait huit, et je les ai vu grandir jusqu’à aujourd’hui. Ce sont un peu comme mes enfants, vous comprenez ? Ils étaient tout petits au début, mais maintenant je peux monter sur leur dos et ils arrivent à me faire voler. Pas très longtemps, mais on s’entraîne dur ! Parfois j’arrive à invoquer un dragon qui n’est pas à moi. Je veux dire, ce n’est pas un de mes enfants. Ils sont très grands une fois adultes, ça me fait un peu peur. Ces dragons-là, je n’arrive pas bien à les contrôler. Alors je préfère m’abstenir.

Moi, je n’ai pas tout compris. Ou peut-être c’est que je ne veux pas comprendre. Je fais comme si c’était trop compliqué pour moi, et je laisse les autres régler mes affaires à ma place. Je suis douée pour jouer les idiotes. Une des meilleures décisions que j’ai prise jusqu’à maintenant, c’est de venir dans cette école. C’est peut-être la seule chose qui donne un sens à ma vie.

On me dit souvent que j’ai pas trop changé de quand j’étais petite. J’ai toujours l’air insouciante, alors que je ne l’ai jamais vraiment été. Je fais comme si. Quand j’avais cinq ans, on a découvert que j’avais une maladie. Mon papa était médecin, vous savez ? Il était très intelligent mon papa, quand je parlais de lui pendant la récré les autres enfants me regardaient avec des yeux qui brillaient ! J’étais fière. Mais j’ai jamais vraiment compris ce que c’était, ma maladie. Au début, je devais mourir avant d’avoir huit ans. Et puis après, ils ne me donnaient pas plus de dix ans. Et puis douze. Et puis quinze. Et je ne mourrais toujours pas. On ne me laissait pas faire de sport, parce qu’ils avaient peur que ça empire mon état. Mais moi, moi je voulais courir avec les autres enfants ! Je voulais aller à la piscine et pouvoir m’agiter dans l’eau, je voulais faire de la corde à sauter, je voulais… C’est dur de devoir toujours dire « Je ne peux pas », vous savez ?

Jasper, c’était mon voisin. On se voyait très souvent, on jouait dans la rue. Mais sans trop bouger, sinon ma maman venait pour me dire de rentrer. Il venait parfois à la maison, quand il pleuvait. Mais je ne suis jamais allée chez lui. Il avait souvent des pansements et des bleus partout, sûrement parce qu’il jouait à la bagarre avec ses copains. Avec mes copines, on jouait à la poupée. Mais avec Jasper, c’était pas pareil. Parfois on restait des heures sans rien dire, et c’était même pas bizarre. Il est souvent silencieux Jasper. Même aujourd’hui, il garde la bouche fermée la plupart du temps.

Moi, j’allais souvent à l’hôpital. Et à chaque fois, papa et maman pensaient que c’était la fin. Au début ça me faisait peur, et je pleurais. Mais maintenant, je ne pleure plus. Je préfère sourire pour rassurer mon entourage. J’ai l’impression d’être morte des milliards de fois.

Mon papa et ma maman, ils sont morts. Vous savez, la vague de criminalité qu’il y a en ce moment ? Et bien mes parents ils se sont noyés dedans. Un jour, d’un seul coup… Pouf ! Ils n’étaient plus là. J’étais avec Jasper à la maison, c’était il y a trois ou quatre ans. Ils étaient sortis pour aller au cinéma je crois. C’est bizarre comme mots « Prise d’otages », vous ne trouvez pas ? Prendre… en… otage… On prend une vie, en échange de quelque chose. Pourtant, cette vie ne nous appartient pas… Ce n’est pas juste, hein ?

Je suis restée un an sans rien faire. Ma vie était toute toute vide, j’étais comme une boussole qui ne trouve plus le nord. Jasper était toujours là, bien sûr, mais il ne pouvait pas faire grand-chose pour moi. C’est au bout de cette année de doutes que j’ai décidé d’entrer à la Heroe’s SUP. Un matin, je me suis réveillée dans mon lit, et je me sentais… pas comme d’habitude. Je me suis dit que peut-être c’était que j’allais mourir, finalement. Je me suis redressée et, tout autour de moi, il y avait des œufs. Huit, en tout. Mais pas des œufs comme les œufs de poule, hein ! On aurait dit qu’ils étaient taillés dans de la roche, solides, presque incassables. Ils ont fini par disparaître mais je sentais toujours leur présence. Puis je me suis rendue compte que, quand je chantais, ils apparaissaient de nouveau.

La suite, vous la connaissez. Mes œufs ont éclos, et on a découvert mon don. Ça fait maintenant deux ans que je suis entrée dans cette école, deux ans que mes dragons grandissent avec moi. Jasper est là, lui aussi. Au début je ne pouvais rien faire toute seule, parce que mes dragons étaient encore trop jeunes et que je n'avais pas l'habitude de cette nouvelle vie. Mais petit à petit, je suis devenue plus autonome à l'aide de mes professeurs et d'élèves plus âgés qui me montraient comment faire. A présent, je peux m'occuper de missions toute seule ! Il m'arrive d'avoir des problèmes quand je dois courir, mais mes dragons sont là pour me soutenir. Parfois, les gens me demandent si c’est parce que mes parents sont morts des mains d’un criminel que je suis cette voie-là. Ils s’imaginent qu’ils me comprennent, que la vengeance est le seul chemin possible après un passé comme le mien. Mais moi, je ne sais pas… Je ne sais pas pourquoi je fais tout ça. Les visages de mes parents s’effacent un peu plus de ma mémoire chaque jour, et je ne cherche pas à les retenir.

Ma vie, je ne veux pas la comprendre. Qui je suis ? Pourquoi je fais ça ? J’ai l’impression que toutes les réponses que je peux imaginer ne seraient pas les bonnes. Elles peuvent être une partie de la vérité. A quoi ça sert un bout de vérité ? La vérité, ce n’est pas le plus important. La vérité, c’est que peut-être j’ai tout inventé. La vérité, c’est que peut-être Jasper n’existe que dans ma tête. La vérité, c’est que je souris tous les jours, et que ma vie me plaît comme ça. La vérité, c’est que rien n’est vrai, rien n’est sûr et certain. Mon passé, mon présent, mon avenir. Moi j’avance sans réfléchir, parce que parfois ce n’est pas bon de trop réfléchir, pas vrai ?

J’avance, encore et toujours. Vers mon horizon perdu.