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Shame on you

La situation lui semblait plus que gênante, maintenant qu'il ne lui était plus possible de faire machine arrière. Ce n'était pas elle qui aurait dû attendre à la terrasse de ce bistrot, enjoignant le serveur d'attendre avant de prendre sa commande. L'anxiété montait tandis qu'elle attendait qu'il se pointe au rendez-vous. L'invité était de marque et elle tentait de se figurer sa réaction quand il se rendrait compte de la supercherie. Pour sûr, il ne serait pas ravi. Sans doute allait-il tenter de partir, mais elle avait à sa disposition des arguments frappants pour le faire rester et converser autour d'un verre. Xia ne faisait pas ça pour le rendre mal-à-l'aise : elle avait des revendications, et d'après ce qu'elle savait au sujet de Strider, il n'accepterait jamais si elle ne disposait pas d'un excellent moyen de pression. Ses déboires sexuelles avec une criminelle, pour citer un exemple.

À la réception du premier message, son bon sens et ses réflexes avaient failli l'entraîner à répondre à ce mystérieux contact qu'il avait bel et bien composé le mauvais numéro. Mais le nom contenu dans le message l'avait interpellée. On ne pouvait pas dire que le prénom Wilhelm était particulièrement répandu dans les environs. Alors quand il s'avérait que ce même prénom était celui porté par une célébrité mondialement connue, elle se dit qu'elle aurait été sotte de ne pas vouloir en avoir le coeur net. Déjà au moment de taper la première lettre de sa réponse, Xia avait eu une petite idée de ce qu'elle pouvait espérer de la Légende : une simple ébauche, et elle se demandait bien comment elle aurait pu s'y prendre alors. La suite avait été un jeu d'enfants : en deux messages, elle avait obtenu un rendez-vous, ainsi qu'un moyen de se rendre particulièrement convaincante aux yeux de Wilhelm Murnau.

Elle appréhendait la rencontre, mais ne pouvait s'empêcher d'être particulièrement excitée. Les probabilités d'un échec lui semblaient très moindres, et il semblait bien qu'elle avait réussi à piéger Strider, qui avait la réputation de toujours s'en sortir. Si tout se passait comme prévu, d'ici quelques heures à peine, sa carrière d'héroïne allait tout bonnement décoller. Certes, elle s'inquiétait un peu, mais elle ne ressentait absolument aucun remords. Elle avait toujours été prête à tout pour réussir.

Cela faisait une quinzaine de minutes qu'elle attendait quand la silhouette tant attendue se profila au coin de la rue, facilement reconnaissable avec sa chevelure d'un bleu azuré. Il fit quelques pas sur la terrasse, cherchant visiblement quelqu'un. Quelqu'un qu'il pouvait très bien chercher des heures, puisque cette personne, qui qu'elle soit, n'était même pas au courant de leur supposé rendez-vous. L'arrivée de la Légende mit fin aux conversations, et bientôt tous les regards étaient braqués sur le héros mondial. Impossible pour Xia d'attirer son attention dans ces conditions là : voilà un détail auquel elle n'avait pas pensé. Elle l'observa pendant qu'il dispensait quelques sourires suffisants, serrant même une main. Encore une fois, la chance sourit à la demoiselle : il y avait du monde ce jour là, et la seule table libre était celle qui se trouvait directement à sa droite. Pensant probablement que son contact était en retard, Strider ne tarda pas à aller s'installer. Quelques secondes s'écoulèrent avant que les conversations ne reprennent, les regards se détachant peu à peu de la célébrité. Voyant qu'il s'apprêtait à sortir son téléphone, Xia réajusta ses lunettes de soleil avant de lui glisser :

“ Je ne pense pas que votre ami viendra aujourd'hui... Par contre, je suis sûre que vous seriez ravi de discuter : au sujet de Belinda, par exemple. ”

Satisfaite, elle attendit que la bombe qu'elle venait de larguer fasse son effet, sans quitter des yeux le super-héros.

couleur : skyblue

J'ai vraiment besoin de voir un ami aujourd'hui. Je suis content que Roxane m'ait justement invité à prendre un verre ce soir. Ça va me détendre. Râ et les autres me sont d'un réconfort trop... familial. Avec Roxane, on peut dire plus de conneries sans avoir peur d'éventuelles répercutions. C'est une amie, quoi. Il faut bien que j'en ai quelque uns. Une en tout cas. Alors je coiffe mes cheveux avec la brosse, je me regarde dans la glace entre les portraits publicitaires de moi-même qui encadrent le miroir. Oh et il y a aussi la photo de famille. Mon regard se pose sur le visage taquin de Brooke. J'espère qu'elle va vite se remettre de ses blessures. Je pose mon doigt sur la photographie et trace le contour de sa tête. L'image doit dater d'une dizaine d'années. C'est fou comment les temps changent mais pas en même temps. Je remarque qu'elle me regarde. Je veux dire... pas moi mais le moi sur la photo. Je devais avoir dit quelque chose. En tout cas, elle me fixe vraiment. Avec un sourire. C'est bizarre. Je suis son regard et me contemple, dix ans plus jeune. J'ai une vraie tête de gamin. Et en comparaison à aujourd'hui... Non. Je suis le même. J'ai toujours cette tête là. Dans les cinq, je suis sûrement celui qui a le moins mûrit. C'est vrai quoi. Me retrouver dans une histoire de couchette avec une criminelle, ce n'est plus de mon âge. Je soupire et dépose ma brosse. Roxane va trouver le moyen d'en rire. Et surtout, de m'en faire rire. Elle a le don de me remettre sur pieds dans ces moments où j'ai les bleus. Je prend une chemise, la plus banale que j'ai. Mais ça ne veut pas dire grand chose... banal. Elle est juste grise très foncée. Le citoyen moyen ne se paie pas de chemises de ce genre. Surtout pas pour les qualifier de banales. Et puis je sors de la villa. Je prends la voiture. Je n'ai pas envie d'attirer tous les regards en traversant le ciel. J'arrive au lieu de rendez-vous. Je suis un peu en retard je crois. Bof. Ça ne change pas de mes habitudes. Et à bien connaître mon amie, elle ne sera sûrement pas encore là. Ce n'est vraiment pas son genre de se pointer à l'avance. Surtout pas pour moi. Je me stationne donc à un pâté de maison de l'endroit de notre rendez-vous. Je descend. Je tombe face à face avec un groupe de jeunes filles. Elles ont quatorze ou quinze ans. Elles me sautent carrément dessus en quête de photographies et d'autographes. Je prend une photo et me défile pour la signature. J'arrive finalement au lieu de rencontre. Je cherche la tignasse de Roxane parmi les clients du café dispersés sur la terrasse. Mais ma vue est rapidement bloquée par une foule de fans qui viennent me serrer la main. Moi qui croyait que ma popularité avait grandement baissée ces derniers temps... Cela n'empêche pas les gens d'êtres excités à la simple vue d'une célébrité. Je fini toutefois par leur faire comprendre que je veux être tranquille. Je continue de chercher Roxane.

Comme je l'avais prédit, elle est encore plus en retard que moi. Je décide donc de prendre place à la seule table libre de la terrasse. Je sors mon téléphone. Et... Ma voisine de table m'interpelle. Je lui jette un coup d’œil. Blasé au début. Puis sidéré après avoir entendu ce qu'elle me dit. Parler de Belinda ? Comment peut elle être au courant ? D'une seule manière. C'est clair comme de l'eau de roche. D'une manière ou d'une autre, j'ai communiqué avec le mauvais numéro. Et cette fille en a profité. Il va falloir que je me montre prudent. Ce n'est pas une femme comme les autres, c'est un rapace. Et si je me permets quelques hypothèses, je dirais qu'elle est journaliste. Je suis vraiment dans la merde. Je ravale ma salive. Je ne veux pas qu'on nous entende. Ce n'est pas vraiment le bon endroit. Ah voilà. J'ai trouvé quelle carte je vais jouer.

« Si tu voulais me faire parler, tu as mal choisi ton endroit. Je ne vais pas risquer ma réputation entouré d'une foule de témoins. »

Je la défie du regard. Enfin, j'imagine. Puisqu'elle porte des lunettes de soleil. Moi qui voulait passer une soirée relaxante entre amis. C'est manqué. Je vais m'asseoir devant elle. Inutile de se faire de faux-semblants, la soirée va être longue. Elle a d'inscrit noir sur blanc mon aveux. Je ne dois pas lui montrer que je suis déstabilisé. Je souris. Un éclair passe dans mon regard. Il faut bien que mon trop plein d'émotion déborde à quelque part.

« Donne moi ton téléphone et je ne te fout pas derrière les barreaux. Le vol d'identité est un crime grave, ma jolie, tu le sais ? »

Je replace une mèche sur mon front. Un serveur vient nous aborder avant que j'aie le temps de dire quoi que ce soit. Je commande un café glacé. J'aurais préféré quelque chose d'alcoolisé.