Aujourd’hui était une journée pourrie. Mais vraiment pourrie. André se demandait même si Dieu lui-même ne se foutait pas de sa gueule, parfois. Ah mais non, quelle supposition idiote ! Dans la tête du Russianov, cette chimère-là n’existait pas. C’était juste une folie séculaire en laquelle croyaient certains idiots qui n’avaient rien d’autre à quoi se raccrocher. Pathétique. Le russe était d’une sale humeur, et encore, c’était là un euphémisme. Loin de sa « petite-amie » pour le moment et sans aucunes des rares personnes sur lesquelles il pouvait plus ou moins compter depuis son arrivée ici, il se sentait vraiment seul et depuis quelques temps, c’était une chose qui ne lui convenait plus. La solitude, très peu pour lui.

Seulement voilà. Il admettait qu’il révisait un peu son jugement sur bien des sujets – et encore, c’était une épreuve pour lui que d’accepter ce genre de choses – mais il n’appréciait toujours pas qu’on essaie de fouiller dans sa tête. La nouvelle psy de la Heroe’s Sup lui avait collé un rendez-vous sur le dos presque aussitôt qu’elle était installée confortablement. Pourquoi ? Ca, Loukas n’en savait rien, mais il n’avait en aucun cas l’intention masochiste d’aller la voir. Il était très bien dans sa tête et n’avait besoin de personne pour aller fouiller là-dedans, c’était suffisamment le bordel comme ça.

Le problème, parce que fatalement en ce jour ils semblaient lui coller à la peau plus que d’ordinaire, c’était que l’expatrié avait croisé Diana au détour d’un couloir. Histoire de sauver sa peau – et de ne pas retourner en Russie, accessoirement- il avait battu son propre record au sprint et s’était engouffré dans la première pièce venue dans l’espoir de semer la furie. Objectif atteint.

Et merde.

En se retournant, sur qui est-il tombé ? La psy ! Fuck le destin, vraiment. Toutefois, résigné et pas spécialement apte à lutter indéfiniment tout de suite, André vint se poser sur la chaise devant le bureau et posa ses pieds, croisés, sur ce dernier. Après tout, elle voulait parler ? Okay, ça le tiendra loin de Diana pendant un moment et lui, il pouvait toujours mentir.

« Alors, vous voulez savoir quoi ? Mon enfance malheureuse, c’est ça ? Mes anciennes activités de dealer, aussi ? J’vous en prie, posez donc vos questions, Miss Bonnet G. »

Insolent comme pas permis. Et déjà aussi faux que les Van Gogh mal imités. Il n’était plus un ancien dealer. Il l’était toujours, nuance.

André ne bougeait pas, malgré l’envie irrépressible qu’il avait de ne pas rester confiner très longtemps dans cette pièce qu’il qualifiait volontiers de pouilleuse. Il fallait qu’il prenne un peu son mal en patience, le temps que son hystérique d’admiratrice aille le chercher ailleurs que dans ce couloir ; ce qui, il l’espérait, ne saurait tarder. Cette gonzesse l’exaspérait déjà de par sa simple présence – et venant d’une femme, il était rare que quelque chose pareille s’installe dans ses entrailles. Pire encore, il avait cette sensation familière qui le tiraillait, elle aussi, bien qu’il n’ait su dire pourquoi ou comment ça lui arrivait. Fenrir commençait à s’agiter, usant les nerfs de l’adolescent plus que nécessaire. Il laissa échappa un grognement peu convaincu.

Voici qu’elle lui collait sa paire de seins – même s’il aurait davantage cru à des pies de ruminants- sous le nez. Non mais sans déconner, elle lui voulait quoi ? D’abord elle le toisait comme s’il était une vieille ruine de l’antiquité – enfin, ce fut ce qu’il pensa de sa propre initiative, en tous les cas – et maintenant, ça. Le Russianov essayait de comprendre, sans pour autant y parvenir.

Wow wow wow. Elle allait devoir se calmer, celle-là. Passe encore qu’elle tente de déceler chez lui une quelconque carence affective, mais il y avait des limites à tout. Et là, elle venait d’en franchir une, et pas des moindres. Elle l’avait appelé Loukas. C’était une erreur. Ce prénom, il le tenait de son connard de père et n’appréciait que très moyennement – pour ne pas dire pas du tout – qu’on l’emploi pour lui parler. André suffisait, à la rigueur. Ou son pseudo « héroïque » (oh la blague du siècle), à la limite, aussi. Mais Loukas, jamais. Elle ne faisait pas partie d’un cercle d’amis suffisamment fermé pour avoir ce privilège sans qu’il ne le prenne mal. Non, enfaite, elle ne faisait partie d’aucun cercle tout court ; ça réglait la question. Pour la première fois, le brun ressentait une répulsion envers une femme. Vite, vite, il voulait partir.

Mais la vengeance appelait également son office. Il allait se barrer, oui, mais avant, une autre petite pique serait la bienvenue. Juste pour rendre à cette foutue psy la monnaie de sa pièce. Ses pieds toujours sur le bureau, il se racla la gorge et perdit l’expression contrariée qui engonçait son visage une poignée de minutes auparavant.

« Oh ? J’peux partir ? C’est vrai ? Non parce que pour le moment, il y a une groupie hystérique qui me court après. Mais tu ne dois pas connaître ça, j’me trompe ? Après tout, le succès, ça se travaille. »

Toute l’ironie du monde n’aurait pu rivaliser avec le degré de foutage de gueule de cette simple phrase. Oui, il voulait aller retrouver Xia, il était sûr d’être apaisé, après. Qu’elle le laisse se barrer par la fenêtre, si elle tenait à lui rendre service !

« T’sais, je pourrais te faire croire que tes tentatives de pseudo-sympathie envers moi me touche … »

Il regarda le plafond, bien plus intéressant que son homologue de l’instant.

« … Mais j’en ai rien à foutre, enfaite. »

Ça, c’est fait.

Il avait tellement envie de lui en coller une, à cette gonzesse. Sérieusement. Et Fenrir était tout à fait d’accord avec lui sur ce point. Il était très rare que ces deux têtes brûlées soient d’accord l’une avec l’autre mais en général, lorsqu’André et son hôte squatteur faisait front de concert, il y avait à craindre la suite des événements. Un éclair zébra son regard, déjà bien mauvais, le rendant encore plus flippant qu’il ne l’était déjà – à moins que jusque-là il n’ait cherché qu’à faire semblant, qui peut connaître le fin mot de cette mascarade sinon lui, après tout ?

Elle le prenait vraiment pour un imbécile et ça, le russe en avait horreur. Certes, il avait peut-être seulement dix-sept ans, mais son vécu l’avait obligé à grandir vite ; peut-être même trop par rapport à son âge véritable. Il avait ainsi acquis une certaine gueule, qu’il essayait – à son plus grand étonnement d’ailleurs- de réfréner lorsqu’il était avec Xia. D’ailleurs il s’autorisa un micro-sourire en pensant à elle. Vivement qu’il sorte de cet endroit suintant d’hypocrisie au point de l’en dégouter royalement.

Par contre, il voulait remettre les choses au clair, avant toute sortie en carence de classe charismatique ;

« La solitude ne m’a jamais dérangé, bien au contraire. A vrai dire si on n’était pas venu m’emmerder pour m’enfermer ici de force après m’avoir assommé gentiment à coup de barres de fer, je ne serais plus dans cette ville depuis un bon moment. »

Il exultait volontairement sa relation avec Alcée, ça ne regardait en rien cette psychologue à la mords-moi-l ’nœud. Il gronda, encore. Il n’en avait pas fini, loin de là, même.

« Par contre, si tu pouvais arrêter de m’appeler par mon second prénom ça m’arrangerais. Je m’appelle André et c’est très bien ainsi. Compris roussette ? »

Il n’appréciait pas son second patronyme. Don de son maudit paternel qui lui avait rendu la vie plus qu’impossible, le russe s’était depuis très longtemps habitué à n’être appelé que par son authentique prénom français qu’avait choisi sa mère. Ses muscles se raidirent en pensant à elle et il croisa encore plus les bras sur son torse, marquant un refus évident de communiquer avec son interlocutrice.

Mais vraiment, c’était bizarre, pourquoi une telle aversion envers cette femme ? Outre son travail ô combien inutile aux yeux verts de l’expatrié, il y avait autre chose derrière. Il le sentait parfaitement mais sans parvenir à mettre le doigt dessus ce qui l’exaspérait toujours davantage. Ce n’était pas comme avec Serren ou, là, seule la fierté masculine entre en ligne de compte. Absolument pas. C’était presque… Familier. Si proche et si loin en même temps. Une nouvelle sensation vint se greffer sur le derme du métis slave. Il détestait ça. Vraiment. Il voulait juste se barrer ; maintenant plus que jamais.

Surtout, ne pas se laisser avoir par son petit jeu de parlotte à la con. André n’était pas dupe ; bien au contraire. Ce garçon était très intelligent quand il s’y mettait – comme présentement. Le souci, c’est qu’l ne faisait pas acte de ses capacités dans le bon sens, notamment à cause d’une foutue fierté très mal placée qui l’empêchait de se tenir tranquille lorsqu’il aurait fallu que ce soit le cas. Là, tout de suite, il n’avait certainement pas envie de se montrer coopératif pour deux sous, en plus de ça. Encore plus chiant que d’habitude, oui, c’était tout à fait ça. Si tant est que ce fut-ce possible, bien entendu.

Tirant la gueule, pour ne pas changer, il consentit cependant à ôter ses pieds chaussés du bureau de la psy, juste parce que des fourmis désagréables commençaient à asticoter son derme laiteux par en dessous. Pour éviter de s’engourdir les deux piliers qui lui servaient de jambes, le Russianov se trouvait désormais avachi sur sa chaise, l’air blasé et lassé. Les bras croisés n’avaient, cependant, pas bougés de leurs positions, c’aurait été trop beau et surtout, trop lui en demander.

Ses rétines vertes traduisaient sans mal son impatience de plus en plus instable. Il émit un raclement de gorge, résultat des agitations prononcées – et très désagréables à subir de l’intérieur- de Fenrir. Il allait vite devoir sortir d’ici et entamer un bon jogging – ou, à défaut, de se changer en loup un temps dans les bois- afin de calmer les ardeurs du Dieu Nordique. La question qu’il se posait était surtout « Pourquoi ? ». Dans sa tête, cette interrogation tournait encore et encore sans jamais discontinuer. C’est vrai ça, au premier coup d’œil, rien n’était fait ici pour énerver son squatteur mythologique de la sorte. Dante n’était pas là, pour une fois, il n’était donc pas coupable non plus.

L’instinct pousse parfois à faire des choses très étonnantes, que l’on ne peut comprendre. C’était exactement ce à quoi pensait André en cet instant précis. Oui, au plus profond de lui, il y avait un véritable malaise qui s’installait. Etait-ce le pouvoir de cette gonzesse que de faire se sentir mal les personnes qu’elle regardait avec trop d’insistance ? Peut-être. A vrai dire, le russe s’en foutait pas mal. Tout ce qu’il voulait, c’était qu’on lui foute la paix, pour une fois.

Bon et voici que l’autre essaie encore d’en savoir plus. Vraiment, elle a manqué d’affection durant son enfance ? Non parce que pour vouloir fouiller dans la vie des autres de la sorte, il fallait vraiment être timbré. Ou barge. Ou les deux. Il soutenait son regard, mais avec un peu plus de difficulté, à mesure que les secondes s’entassaient les unes sur les autres.

« Si je n’étais pas venu ici, je ne l’aurais pas rencontré et par conséquent, elle ne m’aurait pas manqué, non. »

Mentir, c’était là sa seule échappatoire. Du moins le pensait-il.