INTRO – Russie - « Je serais espion. »

«Papa ? Pourquoi Mama n'est plus là ?
_ Parce que Sergueï. Ta mère n'a pas bien fait son boulot.
_ Son boulot ?
_ Ta gueule !»

Cette gifle que mon père m'a envoyé en pleine face, si violente que j'en suis tombé parterre, je m'en souviendrais toute ma vie. J'avais sept ans et ma mère avait disparue depuis trois semaines. Spontanément, moi et mon petit frère Luka, de trois ans mon cadet, nous étions tourné vers notre grande sœur Lyudmila qui, en ce temps là avait treize ans. Elle s'occupait de nous comme le faisait Mama et elle ne se plaignait jamais, même quand je me disputais avec mon frère, même quand Papa la battait. Nous étions une fratrie très soudée toujours prêts à nous entraider. Ce qui est plutôt normal, nos parents n'ont jamais vraiment été présents ils voyageaient beaucoup pour leur travail et quand notre père rentrait, il nous mettait de sacrées roustes. Une fois il m'a même cassé une côte. Mais tant que nous restions ensemble, nous étions heureux.

Après l'école, on jouait dans les rues de Moscou avec d'autres enfants, on traînait partout, on connaissait certains quartiers comme notre poche. Quand il s'y passait quelque chose, nous étions toujours au courant. On nous prenait pour des vagabonds mais on s'en fichait, on était libres ! Et puis nous ne faisions pas que jouer. Lyu nous encourageait à bien travailler à l'école et elle nous aidait tant que nous avions besoin. On savait que si on voulait un jour être reconnu il nous fallait travailler dur. Même Mama le disait toujours...

Un soir de février quelques années plus tard, Lyudmila nous a annoncé quelle carrière elle avait choisie après avoir obtenu son diplôme d'économie :

«Papa, je veux faire comme Mama je veux rentrer dans le SVR.
_ Pauvre conne, ta mère n'a pas fait toute sa carrière chez ces connards, répondit-il en lui crachant sa fumée de cigarette à la figure.
_ Je m'en fous, c'est ce que je veux faire, répliqua-t-elle blasée.
_ Et bien fait ! Suis son parcours et crève comme elle a crevé ! Toi et tes frères vous finirez comme elle de toute façon !»

Puis on l'a regardé quitter l'appartement, sûrement pour aller se saouler. Luka et moi avons ensuite dévisagé notre sœur. A vingt-deux ans elle avait décidé comme ça de rejoindre le Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie. En bref, elle avait décidé de devenir espionne politique, comme notre mère. Mon père, homme d'affaire, voyait ces choses d'un mauvais œil. Pour lui, tout cela n'avait aucun sens. Mais dans ma tête d'adolescent de seize ans ça me paraissait évident, si nous ne connaissions pas les intentions des autres pays nous étions potentiellement menacés. C'est ce jour là que j'ai décidé que je suivrais les pas de mon aînée. Moi aussi je servirais mon pays en espionnant.

Grâce à elle, moi et à ma suite Luka avons également rejoint le SVR et plus exactement la « Réserve Spéciale ». Nous avons été formé à exercer secrètement des activités d'espionnage sous couverture. Nous étions devenus très polyvalents : nous pouvions pirater des systèmes informatique, nous battre au corps à corps,  utiliser les radios et leur langage codé et beaucoup d'autres gadgets en tout genre.

Je me souviens, à mes débuts j'ai été envoyé en mission en France. Ma première vraie mission. Une année dans le pays le plus romantique du monde. Quelque chose d'absolument inoubliable. Tant sur le plan professionnel que sentimental.

PARTIE I – France - «Ce qui, en français, a l'air de sonner bien, traduit en russe peut être très vilain.»

Ah Paris ! Ville lumineuse splendide et pleine d'histoire ! Quand j'ai débarqué là-bas, un beau mois de juin, j'avais envie de tout voir et de tout visiter, comme n'importe quel touriste de base en fait. Mais je n'était pas venu pour le tourisme. Non c'était bien plus sérieux que ça. Officiellement j'étais homme d'affaire pour une entreprise de finance (enfin, fausse entreprise) et je m'appelais Evan Kratovski. Personne ne devait savoir qui j'étais vraiment. Pour tout Paris j'étais juste un jeune homme d'affaire russe de vingt quatre ans qui misait sur les possibilités professionnelles qu'offrait la France. Pour le SVR j'étais celui qui allait rapporter les intentions du gouvernement français. J'allais fouiner, creuser jusqu'à trouver les moindres secrets de l'Elysée.

Et pour cela l'antenne illégale dans laquelle je travaillais m'avait fourni de bons moyens : logement et voiture de fonction et tout l'équipement dont j'avais besoin pour mener mes recherches à bien. Sans exagérer, on peut dire que c'était le grand luxe ! Et j'utilisais le plus judicieusement possible ce que l'on me mettait à disposition. J'avais pour seul objectif d'être efficace et de remplir ma mission. J'étais même tellement obnubilé par mon travail que j'en oubliais les à-côtés.

Mais au bout d'un moment j'ai bien été obligé de me rendre compte que je ne mangeais même plus sainement et que la jolie maison que l'on m'avait prêté commençait plus à ressembler à un taudis. J'avais beau renvoyer beaucoup d'informations classées secret-défense que j'avais réussi à récupérer en piratant certains députés ou en mettant des ministres sur écoute au gouvernement russe il fallait que je lève un peu le pied et que j'aille voir un peu le monde. Mais bon il ne fallait pas non plus que je baisse de trop ma garde. J'ai donc décidé d'engager quelqu'un qui s'occuperait de la maison. ainsi, je verrais quelqu'un tous les jours et je n'aurais plus à me soucier du ménage.

C'est ainsi que j'ai rencontré Estelle. Elle avait mon âge, elle travaillait dans l'aide à domicile. Elle était pétillante et avait toujours un sourire aux lèvres. On se parlait surtout anglais, mon français étant plutôt approximatif. Mais grâce à elle je progressais énormément et puis nous nous entendions très bien. On apprenait chacun l'un de l'autre. C'était magique.

Bien sûr je restais assidu au travail. D'ailleurs Estelle avait pour seule interdiction de pénétrer dans mon bureau -là où je stockais absolument toutes les informations que je récupérais et où était entreposé le matériel radiophonique. Et elle en cherchait même pas à savoir ce que je faisais.

«Je m'en fiche, j'apprécie ta compagnie. Tu es bien plus aimable que beaucoup de mes employeurs ! me disait-elle avec son habituel sourire.
_ J'apprécie aussi, tu es vraiment douce. Et tu m'apprends plein de choses !
_ C'est bien normal va ! Il faudrait vraiment qu'on aille se balader dans le Beau Paris !»

C'était une idée enthousiasmante. Visiter le centre historique, c'est un peu comme un rêve. Et avec Estelle, le rêve s'est prolongé au-delà de nos balades aux Tuileries ou aux Champs Elysées. Petit à petit, nous sommes devenu un vrai couple. Nous nous bâtissions notre cocon, nos projets. A nous deux, nous étions persuadés que nous pouvions réaliser l'impossible.

Estelle avait pour ambition de faire des économies pour que l'on migre aux Etats-Unis, pays de ses rêves. Moi je lui disais qu'on le ferait, tôt ou tard. Normalement avec un travail comme le mien on a pas vraiment la possibilité de se poser... Mais j'en avais envie. Je savais déjà qu'elle était la femme de ma vie. Et quand mon travail fut terminé, le retour à la réalité fut brutal.

Quand le SVR m'a rappelé en Russie et qu'il a fallu que je l'annonce à Estelle, nous étions vraiment chamboulés. Et ce bout de femme au fort caractère était bien décidé à me suivre, où que j'aille.

«Il est hors de question que je reste toute seule ici. On est fait pour être tous les deux, pas vrai ?
_ Bien sûr ma chérie, mais je ne vais peut-être pas rester à Moscou. Je dois beaucoup bouger...
_Et alors, je te suivrais partout, espèce d'andouille !»

Comme à chaque fois qu'elle voulait me faire comprendre qu'elle n'en démordrait pas Estelle me pinça le nez et me secoua légèrement la tête. Et comme à chaque fois, je râlais. Mais sa détermination à rester à mes côtés me touchait énormément. Et bien évidemment c'est à deux que nous nous sommes rendu à Moscou.

PARTIE II – Russie - «Les chemins qui ne sont pas les nôtres sont ceux qui nous font le plus souffrir.»

Ah ma belle Place Rouge ! Que j'étais heureux de la revoir, toujours aussi vive même sous un épais manteau de neige. Oui, il a bien fallu que j'emmène ma douce là-bas pendant mon temps libre. Nous y étions allé avec Lyudmila qui était également affectée à Moscou sur un poste assez léger. Elle prenait donc du temps pour enquêter sur la disparition de Mama. Luka lui était en Ukraine.

Quant à moi depuis que j'étais rentré on me faisait passer des batteries de tests médicaux, on évaluait ma résistance et plein de choses de ce genre. Il paraît que j'allais avoir une affectation spéciale. D'un côté, ça prouvait que j'étais un bon agent, non ? Je faisais simplement ce que l'on me demandait à vrai dire. On m'avait appris à le faire.

Mais à bien y réfléchir, était-ce vraiment cela que je voulais ?

Honnêtement, je n'en étais plus sûr. A l'époque mon souhait était de marcher dans les pas de ma mère et de ma sœur -et encore... Aujourd'hui j'aspirais d'avantage à vivre tranquillement avec Estelle.

Bref. Après mes examens médicaux j'ai reçu ma mission : assurer la sécurité d'un laboratoire de recherche se situant dans la banlieue de Moscou. Ça n'avait rien de bien compliqué en soit. C'était même plutôt tranquille. Enfin c'est ce que je croyais.

On m'avait menti pour que je me jette bêtement dans leur piège. En vérité, ce laboratoire affilié au SVR essayait de mettre au point un genre d'élixir de jeunesse ou je ne sais quoi. Chose certaine, je leur ai servi de cobaye.

Il m'ont injecté leur stupide sérum et par la suite, mon corps à commencer à faire des crises. Parfois je prenais l'apparence d'un enfant sans le vouloir, sans avoir la possibilité de contrôler quoi que ce soit. Les scientifiques me donnaient bien quelques conseils pour que je puisse me reprendre mais cela restait laborieux. De plus les changement fréquents de taille faisaient souffrir mes articulations, le stress et la peur me nouaient l'estomac et me rendaient plus fragile.

J'étais dans de sale draps. Au bout d'une semaine au service de ses savants fous, confiné dans ce laboratoire étouffant, je commençait à douter du fait que je pourrais sortir. Je ne voulais pas finir mes jours là dedans cependant j'avait une marge d'action très limitée. Entre les présomptueux scientifiques et les vrais gardiens armés jusqu'au dans je ne pouvais que fermer ma gueule.