"Vous venez pour ... ?"
"Pour l'offre d'emploi. Non pas celle-ci, j'ai pas vraiment la gueule à être cuisto. Je suis votre nouveau vice-principal."
"Et vous avez un CV ?"
"J'ai survécu à trois colonies de vacances, je suis l’aîné de six enfants et je ne suis pas un super-vilain."
"Et vous avez enseigné ?"
"Vous vous foutez de moi ? Vous me voyez arriver dans un lycée et demander un poste de professeur pour enfants zarbis ? J'ai des diplômes, j'ai botté des fesses de vilains et vous n'avez personne. Je commence quand ?"
"Tout de suite ?"

La questionnaire qu'on lui avait soumis à son rentrée était d'un ennui des plus mortels. On lui avait demandé son nom, son prénom et il commencé à bailler. Taille et poids. Pour qui se prenaient-ils, ils comptaient réellement lui faire enfiler un costume en latex hyper-moulant avec une cape ridicule ? Il griffonna quelques chiffres. "1m85, 77kg." Grosso modo, il devait être dans le vrai et ne se pesait pas tous les jours, chassant le moindre kilo en trop. Ils lui demandaient ensuite s'il était marié, avait des enfants, des antécédents judiciaires et cette dernière rubrique le fit rire. Des antécédents ? Il fumait des cigarettes toujours pas très catholiques, il avait du boire plus que de raison certains soirs, avait de fait oublié certaines qui avaient suivi. Il avait fréquenté les postes de police, autant pour ce qu'il avait fait que pour les vilains qu'il ramenait par la peau des fesses. Neurotoxine, il n'y a que ça de vrai. Soupirant, il répondit "Non" aux trois rubriques de son écriture penchée. Un vrai médecin.

Une suite de questions lui demandaient de se décrire psychologiquement. Il hésita à marquer "dérangé, ne suit pas les prescriptions du médecin", mais un doute l'envahit insidieusement. Pourtant, l'en-tête ne précisait pas Speed-dating sur la feuille blanche. Peut-être que cette école était surtout un club de rencontres géant ayant pour but la reproduction homogamique des héros pour favoriser la croissance des dons chez les enfants nés de ces unions ? Pourquoi pas après tout. Blitz décida de répondre de façon laconique et lapidaire. Pas de grandes envolées lyriques ni d’épanchements sentimentaux sur le pourquoi de son être et de son je. "Stricte. Rigoureux. Scientifique. A l'écoute. Sérieux. Organisé." Bien spur c'était là tout ce qu'ils attendaient. Il l'était, tout ça. Stricte, rigoureux, sérieux etc. Mais il omettait volontairement de préciser qu'il avait une tendance au sadisme assez poussée, qu'il avait des crises d'hystérie lorsqu'il combattait et qu'il restait nonchalant et pragmatique devant les péripéties, expériences et bêtises des élèves. S'ils en arrivaient à ce qu'il avait fait lui quand il était élève, là il pouvait s'inquiéter.

Une description physique maintenant. Non mais il ne recherchait pas une charmante professeure en manque d'amour et d'humour ! Quoique si son nom de super-héroïne était 95D... Sylver arracha la photo de son permis de conduire, l’agrafa au questionnaire. Un jeune homme souriait à l'objectif, une paire de lunette, désormais fissurée, sur le nez, un écrou étrange fixé dans le crâne et déjà quelques balafres sur son visage encadré par des mèches folles et blanches. Lui à vingt-ans. Et il avait changé. D’insouciant, il était devenu sombre et cynique. La dur loi du métier de chasseur de vilains. Certains sacrifices étaient nécessaires et Blitz avait payé le prix fort. Se levant de sa chaise, le crayon sur le lobe de son oreille gauche, l'homme épousseta sa blouse blanche, replaça les stylos dans sa poche et lança la feuille à la secrétaire en la gratifiant d'un sourire aguicheur et d'une œillade qui la laissa froide et distante.