"Evy ! Dépêche toi de te ramener ici, on a, ou plutôt, J'AI du boulot !"
Houla. Un peu plus et cette voix plus que stridente me fait avaler ma clope. Je me retourne, lève les yeux au ciel et murmure :
"Chris... Toujours un plaisir de te voir..."
Ni une ni deux, le Chris en question me chope par la main et m'entraîne à l'intérieur du bâtiment.
Je me laisse faire, sourire narquois aux lèvres.
Chris, c'est mon coiffeur-maquilleur attitré. Et c'est aussi un hybride. Un type issu d'une liaison entre une humaine et un démon, en clair, même si théoriquement il n'est pas au courant. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui me pousse à le supporter, en plus de son hypocrisie légendaire et de son professionnalisme.  Parce qu'il faut dire qu'il est doué. Très doué.

Il m'assoit sur un fauteuil, et me reluque de la tête au pied, avant de se mettre à ricaner.
Devant mon air interrogateur, il m'explique, essayant de maintenir un air sérieux :
"Quand tu vas voir la tenue que tu devras porter... Haha, je suis certain qu'elle t'ira à ravir !"
... Merci, très rassurant tout ça. Pourtant je pensais que ça allait être calme aujourd'hui. Selon mon agent, je devais juste poser pour une publicité pour déodorant sensé attirer les filles, en compagnie d'un modèle français que je ne connaissais pas encore.
Bah, on verra bien.

Mon coiffeur personnel me déshabille et me fait enfiler un peignoir, avant de s'occuper de mes cheveux.
Pendant ce temps, une de ses assistantes complètement blonde et débile vient me limer les ongles et m'étaler de la crème sur mon corps déjà sublime.
Chris s'extasie devant ma chevelure aux reflets argents, comme à chaque fois, et me demande les yeux brillants :
"Un jour tu devras me dire le nom de ton shampoing, ma chérie. Parce que ça te fait des cheveux tellement soyeux !"
Et comme toujours, je réponds :
"Un jour, oui..., avant de changer rapidement de sujet pour ne pas avoir à lui révéler que je ne suis pas humaine, que je connais son père, et tout ce tralala.
"D'ailleurs, comment ça s'est passé hier avec Karl ? "
Il me répond avec un sourire entendu que sa soirée fut très mouvementée, et qu'il sentait bien que son copain du moment ne pourrait pas s'assoir de la journée. J'éclate de rire, tandis qu'il m'engueule parce que je bouge trop la tête. C'est vrai qu'il est marrant, Chris, avec ses tresses roses, ses fringues fluo et ses manières plus qu'effeminées.
La blondasse assistante lâche tout à coup un petit cri niais et montre du doigt une légère marque sur mon avant bras. Je fronce les sourcils. Elle a jamais vu une blessure ou quoi ? Je sors, blasée :
"Oh. C'est rien, c'est mon chat qui m'a griffée."
Bien sûr, c'est faux. C'est ce que je me suis fait en m'entaillant le bras pour aider et me faire un nouvel esclave. Mais ça, je n'ai pas le droit de le révéler.
Elle prend un air apitoyé et essaie de camoufler ça sous une bonne dose de fond de teint et de correcteur d'imperfections. Pas besoin d'en faire tout un foin non plus.

Chris m'ordonne de fermer les yeux, pour "me faire la surprise" de ce à quoi je vais ressembler. Je m'execute, mauvaise foi. Bon, en temps normal, je ne suis pas aussi docile et sympathique. Mais là, c'est question de mon travail de mannequin. Et je tiens trop à mon boulot pour faire surgir ma véritable personnalité. Faut parfois faire des sacrifices.
Je sens qu'il attache mes cheveux, avant de me passer un bon coup de maquillage. Avec la chance que j'ai, je suis certaine qu'il faudra que je porte un costume de licorne ou un truc du genre.
À l'aide de son handicapée d'assistante, il m'enfile des fringues, et me dirige vers un miroir.
"C'est terminé, tu peux t'admirer Evy-chérie."
Je soupire à cause de ce surnom à la con et ouvre les yeux.
Mes cheveux sont attachés en une queue de cheval haute, mon maquillage est plus que discret, ma tenue consiste en une mini-jupe bleue marine, un T-shirt au-dessus du nombril de cette même couleur, et des basket aux pieds.
"Je suis en cheer-leader ?!, je m'exclame d'une voix étranglée.
Par Lucifer. Quelle honte. Et dire que cette publicité va apparaître dans plusieurs magazines de mode actuels. Mon orgueil ne s'en remettra jamais.

Je sors telle une furie de la salle de préparation et me dirige d'un pas énervé vers mon agent, une fille complètement coincée, d'un pas nerveux.
"C'est quoi cette tenue, sérieux ? C'est une blague, j'espère !"
Elle me répond d'un ton posé qu'elle ne connaissait pas à l'avance les volontés du dirlo. Genre. Je me vengerai.
Mon regard est attiré par un gamin qui regarde autour de lui avec de gros yeux.
Cool. Le nouveau garçon de café.
"Vas me chercher un capuccino. Avec beaucoup de sucre. Et un beignet. , je lui ordonne d'un ton impérial, ravie de mon autorité. Ben ouais, faut bien que je me console tant bien que mal avec les moyens du bord.
Chris me tire légèrement par l'épaule.
"Evy, c'est avec lui que tu vas poser..."
Et merde, voilà que je me ridiculise une fois de plus contre mon gré. C'est pas ma faute non plus, si personne ne me prévient jamais !