Il était une fois, dans un pays lointain, très lointain, une jolie brune. Cette jolie brune était la fille d'une famille plutôt modeste; ils devaient travailler pour vivre, mais ils étaient très heureux. La jolie brune faisait parti d'une famille très nombreuse; mais tout allait bien dans le meilleur des mondes. Elle n'était ni l'aînée, ni la cadette; juste une tête sombre, vilain petit canard tant aimé, parmi la masse de vie qui remuait leur petite chaumière. Car elle était celle à la chevelure la plus sombre, d'ébène, et aux yeux assortis. Tant que certain du village l’appelèrent "sorcière" avec leurs propres mots; mais elle n'était pas rejetée, loin de là. Car la haine, à cette époque, n'existait même pas; pas plus que le christianisme, c'est dire à quel point cet événement se veut ancien. Ni même ce vilain mot, "sorcière". Pourtant, ce fut comme s'il apparut pour elle.

La jolie brune rêvait d'amour; elle s'ennuyait terriblement. Elle ne voulait point travailler; elle voulait vivre d'une vie intense et passionnée. Chose nouvelle à cette époque; et personne ne la comprenait vraiment. Elle rêvait de palais pleins de richesses sans même en avoir vu; en existait-il seulement à cette époque ? Elle rêvait d'une noblesse qui se voulait encore lointaine dans le futur, d'un respect sans appel; que le silence se fasse en sa simple présence, que tous les regards tournés vers elle soient teintés de ce respect tant désiré. Elle rêvait de toute ces choses avec la certitude qu'elle les vivrait un jour, aussi lointain soit-il; et personne, non décidément, personne de son village ne la comprenait. Elle aurait voulu être unique et désirée; elle était assez mal-aimée.

Et puis un jour, un prince vint. Ou l'équivalent d'un prince; un gentil homme plein de grâce, d'une beauté bien singulière dans ce paysage si simple et ordinaire. Et la jolie brune en tomba immédiatement amoureuse. Exotisme, fraîcheur, elle le désirait ardemment. Et la jolie brune ne se voulait pas timide, loin de là ! Elle fit tout pour le séduire, elle sans gêne, elle sans doute. Elle fonça, et elle l'eut, son prince; cette franchise le séduit. Mais pas autant qu'elle ne le croyait...

Son histoire d'amour passionnée, elle la vécut. Ou presque. Car cet idylle fut bien trop court à ses pauvres yeux gonflés d'avoir trop pleuré; le prince, quand elle ne l'amusa plus, la jeta comme il l'avait fait sans doute auparavant avec d'autres. Mais elle n'était pas une autre. Il n'avait pas le droit de lui faire ça à elle. Elle lui en voulut, énormément. Elle, trahie. Mais cette bien triste histoire aurait pu s'achever ici, alors que tout commençait à peine. Son enfer, leur enfer. L'Histoire de l'Homme est bien longue, vous savez ? Surtout lorsque l'on est seul.

Un jour, une jolie poupée aux fils d'or attrapa dans ses filets le beau prince cher au cœur de la brune. Elle lui était opposée en tout; aux couleurs chaudes et lumineuses, aux sourire timide et à la délicatesse sans fin; elle docile contre la brune, la bête. La sauvage enfant, sans cœur, contre la grande générosité de la poupée pleine de soleil. Son sourire illuminait tout, guérissait les cœurs et rappelait tout le monde vers cette joie enfantine de naguère; elle était l'ange tombée ici bas, et le prince ne but que succomber à cette délicieuse enfant. Et à la brune, cela ne lui plût guère.

Un jour, elle appela la jolie poupée dans la forêt; d'un message mensonger, elle s'était faite passer pour son amant qui l'invitait à le rejoindre en cachette. Bien sûr, la jeune enfant y cru et tomba dans son piège; la jolie brune devint alors la vilaine sorcière. Le prince, découvrit le message secret dans la chambre de sa princesse alors qu'il lui rendait visite, à elle déjà partie, à elle bientôt piégée. Il accourut alors à son secours, mais lorsqu'il arriva sur les lieux du rendez-vous, il était déjà trop tard; elle était là, sa précieuse petite poupée, peinte de rouge, sans visage à présent. Elle au si joli minois, l'en voilà privée ! Et elle riait, la jolie brune; son cœur s'emplissait d'un sentiment bon, fort et épicé, celui de la vengeance accomplie. Tenant l'arme à la main; une vulgaire pierre, symbole de sa passion souillée, elle sourit à son doux prince. Il voulait lui être lié...? Elle ne lui laissa aucune chance. Non, aucune. On ne lui faisait pas cela, pas à elle.

« Tu es Anarkia; l'outil de la destinée; la fatalité. Je te maudis; toi, objet des cauchemars; toi, Grande Mort qui rôde et fauche par jalousie. »

Dans un dernier souffle, le jeune prince la maudit; la jolie brune serait dés lors Anarkia, et c'est avec un sourire qu'elle l'annonça à tous. Bien sûr, pour ces crimes odieux, elle fut exécutée; cela, semblait-il, existait en ce temps pourtant de paix; ou alors naquirent-elles pour elle, ces potences ? Encore est-il qu'Anarkia mourut pour ses meurtres, et que la paix revint enfin sur ce petit monde bouleversé par sa folie. Il leur fallut longtemps afin de guérir des blessures de leur petit cœur, mais on pardonna à la famille, innocente des monstruosité de leur fille, ou sœur. Et tout alla bien mieux dans le meilleur des mondes.

« « Aujourd'hui est le dernier jour de cette vie.
Ce visage se fermera bientôt, et j'avoue ne jamais avoir été aussi effrayée. Le bûcher m'attend, et je sais que je n'en mourrais pas; non, mon corps ne disparaîtra que lorsqu'Equinox naîtra. Que lorsque Equinox mourra. Pour de bon, cette fois. Mais moi, ma conscience, cette conscience, disparaîtra à jamais dans les flammes. Et mon enfer s'achèvera, enfin. Oui, enfin. Mais avant de disparaître, avant de quitter ce triste corps sans vie déjà, il me faut laisser une trace; il me faut expliquer ici ce que j'ai découvert afin qu'un jour, on me lise, qu'on apprenne. Equinox, elle doit comprendre; Equinox, elle doit savoir, connaître la douleur des autres avant elle. Car avant d'écrire ses mots, il m'a fallu apprendre; Anarkia, je t'ai ordonné des réponses, la vérité toute entière, et tu me l'a offerte sur un plateau; tu m'as dit que j'était la seule qui savait, qui saurait. Je refuse.

J'ai écrit ce conte afin que l'on sache; certain penseront que ce n'est que fantaisies, pourtant, c'est bien ce qui a introduit à mon enfer; à notre enfer. Anarkia, cruelle créature; voilà pourquoi j'existe. Alors que ces cruels être humains m'attendent, afin de voir mes derniers instants, je me hâte; il me faut dire tant en si peu de temps. J'écris ces mots, bien sûr, dans l'espoir d'être lue; bien que je n'ose trop le désirer.

Anarkia m'a tout révélé, son histoire à elle, notre naissance; l'existence des personnalités précédentes; tout jusqu'à leur noms. Leur élus; la façon dont elle avait été pitoyablement rejetées, leur mort, tout. Et ce sans la moindre once de compassion. Finalement, l'expression de "faucheuse" lui va si bien... Elle qui tue les Hommes sans aucune pitié; elle qui s'en délecte. Anarkia, la plus grande psychopathe de l'histoire. Elle, plus encore que le bûcher, m'effraie. Elle qui est là, quelque part dans un coin de mon être; certain diraient "esprit" mais cela est bien faux dans mon cas. Mais cela doit te paraître bien incompréhensible; excuse moi, c'est un peu le fouillis dans mon esprit, j'ai du mal à mettre de l'ordre dans tout ce méli-mélo d'émotions et d'informations.

Tu connais le mythe de la Grande Faucheuse, n'est-ce pas ? Les Hommes tentent de personnifier la mort; pourtant abstraite. Et bien, vois-tu, Anarkia est brune, faite d'une espèce vapeur, toute de noir vêtue; sa peau est si pâle que l'on verrait, selon certains dires, son squelette;et son arme de prédilection est la faux. Cela ne te rappelle rien ? Si, bien sûr que si. Car la faucheuse est représentée ainsi à cause d'elle. Et comme il est impossible de voir réellement son visage, de la voir de prés, et d'en revenir indemne, on a commencé à imaginer. Sans voir que la vraie, la maudite, était bien plus effrayante. Plus cruelle. Car elle ne ressent aucune pitié; que son plus grand plaisir et d'arracher au bonheur de pauvres âmes innocentes.

Anarkia, tu te régales, n'est-ce pas ? Peu à peu, tu es réellement devenue la mort; un peu de toi rôde auprès de chaque mourant; tu ne disparaîtras jamais complètement, n'est-ce pas ? Pourtant, il faudra bien que tout cela s'arrête. S'il vous plait, que tout cela s'arrête.

Je ne suis "que" la 78ème personnalité. La seule qui soit allé aussi loin; la seule qui sache à ce jour. Et c'est pourquoi je me dois de tout coucher sur papiers, là, dans mes derniers instants -de conscience, pas de mort; car Loreleï mourra, mais pas l'entité, pas mon corps. Il se régénérera, la plus grande partie des brûlures disparaîtront -pas toutes. C'est comme cela; quand le corps est trop endommagé après une mort, il se reconstitue un peu; phénomène qui se dissipe au cours du temps. En effet, les premières personnalités, lorsqu'elles mourraient pour laisser la place à une autre -car c'est ce qui "nous" arrive-, si cela arrivait dans de violentes conditions, voyaient leur corps se reconstituer presque totalement, pour que ce même corps soit correcte pour la personnalité suivante; ce phénomène est de moins en moins important, et aura surement presque disparu quand Equinox reprendra le flambeau -belle image, n'est-ce pas ? Mais lors de nos existences, nos corps ne se régénèrent pas; nous ne sommes que des carcasses, munies de consciences. Je crois que les humains appellent cela des monstres; mais on m'a aussi baptisée "Sorcière". Empalée, je ne meurs pas. Je ne ressens pas la douleur; oui, je suis une "sorcière", pour eux. Mais aujourd'hui, comme toutes les sorcières, je serais brûlée. Mais aujourd'hui, mon "élu" s'en chargera, et je pourrais partir, vraiment.

Mon histoire n'a pas été si différente des autres; pourquoi tombons-nous systématiquement amoureuses ? Par des hommes qui nous rejettent par la suite ? Maudites. Oui, c'est le mot; Anarkia fut maudite, mais c'est celles qui la suivirent qui furent réellement les victimes. Equinox, tu dois comprendre. Comprendre que tu n'es pas la seule, qu'il y en a eu d'autres avant toi; comprendre que ce n'est pas une fatalité, comprendre que tu peux -que tu dois- combattre cela. Au nom des autres, de notre malheur.

Mais j'entends les bêtes qui s'impatientent, il m'appellent au feu. Je ne pourrais donc en dire plus; il te faudra chercher par toi-même... S'il te plait, Equinox.

Sauve nous. »

« Tu seras la dernière, Equinox. Fais-nous honneur ! »
Cela résonnait dans sa tête. Equinox. Qui...? Elle avait tout juste ouvert les yeux, et cette voix fut la première chose qu'elle entendit. Mais qui était-elle, au juste...?
Elle se leva, regarda autour d'elle. Elle était dans une forêt; avec des épines de pin au sol, sombre. Le soleil venait de se lever, apparemment... Elle ne comprenait pas. Clignant bêtement des yeux, elle se contempla. Vêtue d'une petite robe sombre; plutôt aguicheuse... Pardon ? Que faisait-elle habillée ainsi dans un tel endroit, au juste...? En plus, elle ne se sentait franchement pas bien. Effrayée, elle voulut se lever, chercher où elle était. Elle contempla ses pieds; elle ne sentait strictement rien. Elle avait une chaussure en moins. Comme Cendrillon. Mais elle ne sentait rien; du tout. Et puis, Cendrillon, elle était heureuse et avait plein d'enfants à la fin... Hein ? Cendrillon ? Qui... Qui est-ce, au juste ? Pourquoi ce nom lui était-il venu à l'esprit ? ...Elle s'appelait pas Cendrillon, quand même ?! Ce prénom ne lui plaisait pas. Il ne lui plaisait pas. Comment savait-elle cela...? Et... A quoi ressemblait-elle ? Oui, à quoi ressemblait-elle ? Elle leva le nez en l'air, perdue dans ses pensées, et se bloqua; elle était belle, cette grande sphère platine. La lune. La magnifique lune. Pleine, vraie. Énorme ! Elle en resta sans voix pendant quelques instants, la contemplant de son regard monochrome.

UC