Explication du don :: On l'appelle Morpheen. Morpheen, morphine. Pour ceux qui ne seraient pas au courant, la morphine, qui étymologiquement vient du grec Morphée, le dieu du sommeil et des rêves, est un très puissant anesthésiant dérivé de l'opium, qui induit une somnolence voir une perte de conscience chez le patient sur lequel elle est utilisée. Pour Morpheen, c'est à peu près la même chose. Elle est capable, par la simple force de son esprit, d'engourdir puis de plonger dans un profond sommeil toute personne qui se trouve dans un rayon de dix mètres autour d'elle. N'allez cependant pas croire que c'est si facile pour elle de neutraliser ses ennemis : l'opération prend une trentaine de secondes, et pendant ce temps là elle est très vulnérable, étant donné qu'elle doit se concentrer entièrement sur la personne visée.


• HISTOIRE ;

Voitures de police. Sirènes, lumières bleues et rouges qui se répercutent sur les façades des immeubles, venant troubler le calme de la nuit. Elle a encore frappé. Ç'aurait pu être n'importe qui d'autre, mais avec l'expérience, on sait reconnaître ce qui est en quelque sorte sa "marque de fabrique". Les systèmes de sécurité de la banque ont été désactivés, les coffres ouverts. Aucune trace d'effraction. Le système informatique a été piraté depuis l'extérieur. Elle rentre dans les lieux les plus surveillés comme si c'était des moulins. Les veilleurs de nuits ? Ils dorment comme des bébés, bien évidement. Aucune empreinte ne sera trouvée, la demoiselle porte des gants. Ça n'est pas tout. Depuis quelques temps, elle s'amuse à les narguer encore plus –car oui, c'est possible. Au beau milieu du coffre vidé, une carte de visite cartonnée, parfumée d'une fragrance féminine : quelque chose de floral, insistant sans être trop capiteux. Et sur la carte ? Morpheen ; délits sur commande.

Voilà où tu en es, aujourd'hui. Pourtant, ça n'était pas censé tourner comme ça. Tu étais censée être un succès. Peut-être... Peut-être faudrait-il tout reprendre depuis le début.

Père : inconnu. De lui, tu ne sauras qu'une chose : il est d'origine Américaine. Tu es issue d'une fécondation in vitro, parce que ta maman désespérait d'avoir un jour un enfant. Tu es la suite de trois fausses couches. Tu es le bébé chéri qui vivra dans l'ombre de ses frères et soeurs fantômes. Tes grands frères et tes grandes soeurs jamais nés.

Ta maman était une scientifique éminente, qui avait été transférée aux États-Unis deux ans avant ta naissance pour développer un nouveau projet. Un projet confidentiel, un secret d'état. Son métier la passionnait, et toi même tu en était persuadée : c'était la personne la plus brillante au monde. Le soir parfois, elle te prenait sur ses genoux, et elle te racontait de drôles d'histoires. Des histoires fantastiques. Elle te disait que très bientôt, il y aurait des enfants spéciaux. Des enfants dotés de pouvoirs merveilleux, qui viendraient révolutionner le monde. Elle te parlait de ces pouvoirs, et de ce que serait le monde quand il serait possible de les obtenir. Et elle te demandait ensuite si toi, petite Svan, tu voudrais avoir des pouvoirs magiques, être une héroïne, comme dans les comics. Oui maman, bien sûr que oui ! Et dans tes rêves de gamine tu voyais ces enfants formidables, bien mieux que les autres, et toi à leurs côtés.

Tu avais cinq ans et demi quand elle te proposa de l'accompagner au travail. Tu dis oui, immédiatement, même si tu devais manquer l'école. De toute façon, maman t'avait dit que tu avais le droit. Avant que tu n'entres dans la voiture, elle te murmura à l'oreille que c'était aujourd'hui que tu allais devenir mieux que les autres. Spéciale, géniale. Tu trépignais de joie. On te fit entrer dans une salle, grande et blanche, baignée dans la lumière des nombreux écrans qui s'entassaient, affichant des diagrammes complexes. On te fit t'étendre sur une table d'opération, blanche elle aussi, et inconfortable. Tu commençais à paniquer. Il y avait des gens, autour, des gens avec des masques blancs, qui disaient des choses que tu ne comprenais pas. Des gens qui te faisaient peur. Mais heureusement, il y avait maman, à côté, maman qui te murmurait des paroles rassurantes ; n'aie pas peur bébé, je suis avec toi, tu vas voir, tout va bien se passer... Tu l'écoutais, et tu ressentis à peine la piqûre dans le creux de ton coude. Tout en douceur, tu sombras.

C'est avec la même douceur que tu te réveillas. Au tout début, tu avais l'impression d'être dans du coton. Tu n'entendais rien, tu voyais trouble. Impossible de bouger tes membres. Très vite, une peur panique qui t'enserra le coeur. Mais qu'est-ce qu'ils t'avaient fait ? Douleur sourde dans la tête, tympans qui bourdonnent. Tu ne comprenais rien, tu n'y arrivais pas. À ta droite, au bout de la salle, tu entendais des bruits. Une conversation. La voix de maman. Tourner la tête te parut être un effort colossal. Te concentrer sur le voix, les mots, les phrases, encore plus dur.

«... Administré une dose trop haute de morphine... Je crains que cette erreur de dosage ait entraîné un rejet des substances qui devaient enclencher le don de télékinésie... Non, aucun risque pour votre fille évidement, mais... Oui, vous avez raison, c'est fort dommage : une petite si prometteuse ! Ses bilans physiques et intellectuels étaient pourtant très bons... Peut-être, avec votre permission, pourrions-nous retenter...»

Ton mal de tête s'accentuait. Qu'il se taise, par pitié, qu'il se taise.. Tu le fixais, petit homme bedonnant en train de discuter avec ta mère, pour savoir si oui ou non ils allaient encore te harceler, te faire souffrir... C'était donc ça, de devenir un prodige ? Oh, si seulement cet homme avait pu se taire !

Et il tomba. Évanoui, ou plutôt, endormi. On se précipita sur lui, tentant de lui faire retrouver ses esprits. Quelques claques, un verre d'eau fraîche, et on aurait pu ne pas faire le rapprochement avec toi si, quelques minutes plus tard, un scientifique tentant de te mettre en condition pour une nouvelle opération ne s'était pas effondré à son tour, pris du même mal que son collègue. Batterie de tests. C'était donc ça, le résultat de cette expérience ratée ? Pas si ratée que ça, apparemment.

À partir de ce moment, tu refusas de retourner à nouveau à l'école. Tu ne voulais plus voir les autres enfants. Maintenant, tu étais différente. Tu leur était supérieure. Personne ne voyait cet isolement d'un bon oeil, mais ceux qui tentaient de s'y opposer se voyaient inexplicablement plongés dans les bras de Morphée dans la minute qui suivait. On t'offrit des cours à domicile. Tu étais une élève brillante, qui apprenait vite, bien plus vite que la moyenne. À neuf ans tu commenças à t'intéresser à l'informatique. Tout d'abord d'un point de vue global, puis en entrant de plus en plus dans les détails, les replis et les recoins sombres du milieu. Des bouquins divers et variés traitant de codes et de programmation s'empilaient dans ta chambre, là où d'autres gamines du même âge rangeaient leurs Barbies et leurs déguisements de princesses.

À douze ans, le psychologue qui te suivait depuis l'acquisition de tes pouvoirs parvint enfin à te convaincre de t'ouvrir un peu aux autres en t'inscrivant à un cours de théâtre. Coup de foudre. Tu adorais réciter des textes et porter de beaux costumes, tu aimais qu'on ne voie que toi sur scène. Mais c'était indéniable : tu étais devenue allergique aux autres enfants. Ils t'insupportaient, t'exaspéraient et le simple fait de jouer avec eux t'obligeait à endosser un rôle. Pas que pour les enfants, d'ailleurs : le monde entier t'était devenu étranger. Tous te paraissaient tellement différents, tellement insouciants : eux qui pouvaient fixer quelqu'un sans le plonger dans les bras de Morphée, eux qui ne portaient pas le fardeau de n'être, au final, que des tests infructueux. Tu les détestais, tous. Et personne ne le savait, car chaque jour tu leur mentais, à tous. Tu jouais aux petites filles presque normales.

[U.C]