Elle avait été tellement concentrée sur ses recherches post-mortem au sujet de Damage et des circonstances fleurissant autour qu’elle n’avait même pas fait attention clairement au temps qui passait. Dans un sens, tant mieux. Ça lui avait évité de se prendre la tête encore plus au sujet de Carnage, son… frère. Elle aurait volontiers eut envie de vomir, ou de se réveiller d’une bonne cuite, là, tout de suite, maintenant. Juste pour se dire que ce n’était qu’un mauvais songe, juste pour se convaincre que ce n’était pas la vérité. Ce n’était pas envisageable, non. Et pourtant. Elle n’avait d’autre choix que de l’accepter. Les larmes qu’elle avait versées, elle se les devait à elle-même. C’était de sa propre initiative qu’elle avait voulu remonter la piste jusqu’à ce qu’on lui avait caché durant ces trente-deux dernières années et qu’elle n’avait, jusqu’ici, pas vraiment ressenti le besoin de creuser davantage.

L’époque presque candide du « tant qu’on me le dit, c’est que c’est vrai » venait de brutalement prendre fin. Et ça faisait mal. Très mal. Parce qu’elle avait l’amère sensation de se réveillée adolescente, avec des angoisses et des craintes qu’elle n’avait jamais connu. Ou alors plus depuis très longtemps. Au fond, c’était très désagréable de ressentir encore la douleur après s’être cru immunisé contre cette saloperie. Personne ne l’est, de toute façon. Mais Brooke le vivait assez mal, ouai. Alors, lorsqu’elle ne se lamentait pas à propos de Paige – car oui, qui sait ce qu’elle pouvait bien lui avoir transmis, du coup ? – elle s’enfermait dans son laboratoire technologique pour scanner les étrangetés retrouvées sur la scène de crime qu’elle avait pu voir en direct. Un réprima un frisson alors que sa tête commençait à lui faire mal.

S’adossant au dossier de sa chaise, la Légende ferma un instant les yeux. Peut-être qu’elle devrait songer à écouter un peu Archimède et s’aérer la tronche. Ouai. Peut-être. Ou peut-être pas. Elle ne savait plus ce que ça voulait dire, tout ça. Et puis elle voulait se débarrasser de cette foutue attèle dure à son bras ! Bordel, dire que c’était sa plaie la plus sérieuse à un moment pareil… Vraiment, karma de merde, il n’y avait pas à dire. Nouveau soupir.

Ploc. Ses yeux rejoignent le sol. Une trace sanguine et ronde s’y trouve. Elle réalise qu’elle saigne du nez. Merde, il ne manquait plus que ça. Bon, elle prend le nécessaire pour faire stopper le saignement et se pince l’arête de cartilage. Pas le choix, cette fois. Il faut qu’elle sorte, au moins un peu. Faire le tour du quartier serait déjà une bonne chose, surtout par le temps qu’Archimède indique sur son écran holographique. La pluie… C’était sous ce temps qu’elle avait essayé sans y parvenir de contrer Carnage, mais étrangement, elle voulait y retourner. Un peu de fraicheur lui ferait du bien, elle en était convaincue.

D’abord, elle va se rincer un peu le visage, histoire d’enlever ce filet de sang qui lui en traverse bien la moitié. Et puis, alors qu’elle se regarde sans vraiment y prêter attention dans le miroir, Archimède lui transmet un appel. Serren. Oh, tient, il y avait longtemps. C’est vrai, elle l’avait appelé après être revenue du Delaware et d’avoir tout « découvert ». Ce soir-là, elle n’avait pas voulu être seule. Elle avait appelé le premier numéro qui lui était tombé sous la main et c’avait été celui de ce gars. Sauf qu’il n’était pas vraiment disponible à ce moment-là, n’étant pas sur le même continent. Mais là, ils avaient l’occasion. Dommage que ce soit dans une situation pareille, mais bon, se lamenter ne fera pas avancer les choses plus vite.

Elle va sortir et passer un peu de temps avec lui. Ça lui changera surement les idées. Rendez-vous au bar. Niquel. Elle doute de sa discrétion, mais bon, au pire tant pis. Elle prend une bonne douche chaude et se change convenablement, puis elle prend un parapluie, délaissant un peu de manteau. Il ne fait pas froid, juste, il pleut. C’est tout.

Tout sauf revigorant, mais tout quand même. Alors elle avance. Ses pas l’amènent jusqu’au lieu du rendez-vous. Elle attend, un peu. Et puis…

« Yo. Ça fait un bail. »