Le soleil était très haut dans le ciel, invitant à la délicieuse dégustation de ses rayons sur une herbe bien verte, à la fois rafraichissante et chaude.

Enfin, c’est sans doute ce à quoi avait pensé les nombreux étudiants de la Heroe’s Sup, présentement coincés derrière les vitres des salles de classes ou étaient dispensés leurs cours. Haycinthe aurait dû dispenser sa matière également, aujourd’hui. Seulement non, finalement. Le fait est que monsieur était présentement avachi sur lui-même, sans aucune grâce ou autre forme d’élégance. Sur un banc du parc, en plus de ça. Il était difficile d’imaginer plus pathétique que ça, n’est-ce pas ?

Il avait donc séché le cours qu’il était supposé honorer pour partir se dégourdir les jambes, quelques parts, loin d’un endroit où on était susceptible de le questionner mille et une fois sur le pourquoi du comment il donnait cette impression d’être un mort vivant.

Ainsi il avait échoué au parc, sans aucun calcul habile de sa part. Et toujours avec la même absence de réflexion, il avait plus ou moins trouvé place ici, sur ce meuble d’extérieur, fait de bois amoché par les années de services au compteur.

Il avait repensé à elles. Lysandre et Marie. Sa femme et sa fille. C’est idiot ce qu’une petite chanson enfantine peut vous rendre barge, parfois. C’est ce qui s’était passé pour Hyacinthe. En préparant ses affaires pour son cours de français, il avait entendu une petite voix dans le couloir chantonner à tue-tête « Ainsi font font font les petites marionnettes … ♫ ». Oh bien sûr, il savait qu’il n’était pas le seul expatrié francophone de l’établissement, mais d’entendre une comptine que chantait autrefois sa fille, s’exfolier tout près de lui avec une voix si fluette, ça l’avait achevé, littéralement. La tête basse, il avait délaissé sa sacoche et avait pris la direction de la sortie du bâtiment.

Elles lui manquaient atrocement. Il s’en rendait bien compte, maintenant, qu’il ne faisait que se voiler la face. Accepter la perte de ces deux êtres ? Non, là de suite, ça lui paraissait tout bonnement impossible. Il régressait sur son parcours du combattant alors que c’était là justement l’unique chose à ne pas faire. Se laisser abattre et verser toutes les larmes de son corps n’était ni fait ni à faire. Ca ne lui rendrait pas ce que cette garce de vie lui avait pris, mais perdu dans les limbes et les brumes de sa conscience culpabilisante, il ne voyait pas les choses ainsi.

« Je suis désolé d’être vivant… » Avait-il murmuré tout bas, dans sa langue maternelle.

C’était davantage pour lui que pour quiconque d’autre, ce murmure, mais il ne pensait pas que ça allait attirer sur lui l’attention d’autrui. Il aurait voulu que tout ceci ne soit qu’un mensonge, mais il fallut qu’il admette que les brulures qu’il ressentait au niveau des yeux n’étaient en rien issues d’un quelconque rêve. C’était insipide mais tellement violent, ces torrents qui se formaient sur ses joues. Même l’œil masqué laissait se consumé le chagrin de son porteur, passant outre le bandeau qui le dissimuler. C’était là bel et bien un signe que le professeur n’en pouvait plus. Il avait besoin de cuver un peu sa tristesse car même s’il faisait tout pour ne pas montrer la crevasse en son cœur aux autres en souriant en permanence et en faisant l’idiot, il n’en restait pas moins un humain. Et un humain, ça avait des limites, bien entendu.

Il vit une silhouette s’approcher, finalement. Relevant rapidement l’œil gauche vers le nouvel arrivant – il prit acte de sa carrure en contre-jour pour le désigner comme masculin – il finit par demander un très vague ;

« Oui ? C’est pour quoi ? »

A moitié conscient de sa bêtise et de l’image de faiblesse qu’il montrait à tous et toutes, Hyacinthe ne savait plus vraiment quoi faire, là, tout de suite.

Finalement, l’étrange individu s’était installé près de lui. Mais pourquoi donc ? Pour quelles obscures raisons ne le laissait-il pas en paix ? Pire encore, pourquoi se mettait-il en danger de la sorte ? Certes, d’apparence, Hyacinthe ne parait ni très impressionnant ni très dangereux… Mais ne dit-on pas qu’il est toujours bon de se méfier de l’eau qui dort ? Enfin, du feu, dans le cas présent. Mais ça revient au même pour le pyromorphe qui recommençait à scruter le sol de manière compulsive, comme si cette chose sous ses pieds était soudainement devenue la plus intéressante qui soit au monde.

Cette enveloppe faite de chair, d’os et de sang n’était jamais que l’écrin vif d’une ignominie sans nom, d’un poison incandescent qui pourrait tout détruire s’il le désirait. Tout comme ce fut le triste cas cette nuit-là. Le roux avait abattu les voleurs s’étant introduit chez lui, bien évidemment, mais par la même occasion, la Faucheuse avait cueillit sans aucune difficulté les vies de Lysandre et Marie. Rien que d’y penser, le français se tint la tête, l’esprit et le sang-froid mit à rude épreuve tout à coup.

Il aurait sincèrement voulu que les paroles du nouvel arrivant fasse comme toutes les autres ; entrent par une oreille et ressortent par l’autre.. Mais ce ne fut pas le cas, loin s’en fut, même. Ces traitresses venaient sournoisement résonner dans l’enceinte de son crâne mortifié de l’intérieur. On aurait dit qu’elles allaient finir par passer du stade de glue indigeste à celui d’un miasme perfide et toxique. Et à ce moment-ci, la souffrance d’Hyacinthe ne ferait que monter en grade, dans un sombre crescendo de sensations, toutes plus détestables les unes que les autres.

Le professeur n’avait même pas relevé la blague faussement masquée du nouvel intervenant. Dire que d’ordinaire, il était le premier à plaisanter… On ne le reconnaissait littéralement plus, c’était bien le cas de le dire. Les larmes continuaient de rouler sur ses joues, pareilles à des soldates partant en croisades contre es expressions fictives dont il use à longueur de temps.

« Vous ne devriez pas rester là …»

Ce n’était pas agressif pour un sou, simplement préventif. Il avait apprécié la proposition de l’individu, au cas où il souhaiterait vider son sac mais… il ne savait plus du tout comment réagir. D’autant plus que les dires de son homologue étaient très criant de vérité. Tout garder pour soi n’est jamais bon. Hyacinthe le savait bien et malgré tout, il ne parvenait pas à se tirer seul de ce goudron dépressionnaire qui avait élu domicile sans autorisation dans l’une des nervures de son âme. Il reprit ;

« J’ai assassiné deux précieuses personnes à cause de « ça »… Je ne donne pas cher de la vie d’un tiers m’étant totalement inconnu. Vous devez avoir une famille qui vous attend, non ? Aller donc la retrouver, ne vous occupez pas d’un pauvre hère tel que moi… »

Une goutte vint en silence s’écraser dans la poussière du sol. Puis une seconde. Une troisième. Et cetera…

Hyacinthe n’aimait pas se donner en spectacle de la sorte. Surtout lorsqu’il faisait le point avec ses habitudes de toujours tout garder pour lui. Dans un sens, c’était dégradant de rechuter comme ça, sans pouvoir se retenir à quelque chose de tangible. Mais bon, loin d’être superman et d’être un réel héros, il ne pouvait tout porter sur ses minces épaules de français, comme il aurait tant voulu le croire.

Il écoutait l’individu dont il ignorait toujours le nom répondre docilement à ses phrases chasseresses. Il était obstiné, dis donc. Ça le fit presque sourire, car dans un sens, il était comme ça, lui aussi. Lorsque quelqu’un allait mal, il ne pouvait s’empêcher de rester près d’elle, même s’il était prié de partir. Car il ne voulait pas laisser quelqu’un dans un état dépressionnaire semblable au sien, quelques années auparavant. Voir quelques minutes, présentement. Quitte à passer pour un homme lourd au possible et insupportable, au moins estimait-il faire tout son possible pour rendre le sourire aux autres.

Mais alors putain, pourquoi c’était si difficile pour lui-même ? Pourquoi n’arrivait-il pas à s’auto-persuader que tout allait bien et à garder son regard fixé sur l’avenir plutôt que sur le passé ? Question rhétorique, il avait déjà la réponse. Il ne voulait pas, tout simplement. Sauf qu’il n’admettrait jamais une telle bêtise venant de lui. Ça ne lui ressemblait tellement pas.

L’ultime phrase de son comparse lui revint en tête, résonnante de nouveau. Parler ferait du bien. Il pesa le pour, puis le contre. Et puis merde, oui. Au diable les larmes et la culpabilité, il allait au moins essayer de se dévoiler un peu. Ça devrait lui procurer une certaine sensation de bienêtre de ne plus tout porter tout seul n’est-ce pas ? Oui, sans aucun doute. Il fallait y croire ,s’en persuader. Pour pouvoir avancer. Mais attention, il ne fallait pas non plus omettre la règle numéro un de la Heroe’s Sup, soit rester prudent lorsque l’on évoque ce genre de chose en public. On ne peut jamais savoir à qui l’on adresse la parole, finalement. Si ça se trouve, une fois qu’il saura ce « détail », il partira en courant, appellera les flics ou sautera peut-être à la gorge de Hyacinthe.

C’était un jeu dangereux, quand on y pensait bien, à la manière d’une roulette russe. A la différence que les balles étaient remplacées par des mots. Mais la probabilité du risque restait la même.

Soit, le professeur allait y aller avec toute la finesse dont il était capable présentement. Se redressant et appuyant son dos contre l’arrière du banc en bois, il observa de son unique œil découvert son homologue. Tiens, c’était étrange, ça. Lorsque leurs iris se percutèrent, il aurait quasiment pu jurer que l’âme de cet étranger – qui n’en était plus tellement un, maintenant …- était aussi bousillée que la sienne, dans une mesure toute différente. Pas de doute permis, ils renfermaient tous les deux un secret, une boîte de Pandore qu’il leur était déconseillé d’ouvrir… Consigne à laquelle Hyacinthe n’avait pas obéit, aujourd’hui. En comprenant la raison même de cette lueur fade et jumelle dans l’œil de son voisin, le roux commençât une phrase emplie de mystère, à voix basse.

« Très bien dans ce cas … Est-ce que vous croyez aux pouvoirs « surnaturels », Monsieur ? »

Il continuait de le scruter avec application, l’œil toujours cernée d’une marque rouge, vestige de ses larmes. Il espérait pouvoir deviner la vérité en observant de la sorte, histoire de voir s’il pouvait aller plus loin… ou non.

On peut le dire, Hyacinthe était tombé des nues face à la réaction pour le moins singulière de son camarade. Il ne s’attendait pas à ce genre de chose. Un rire, l’une des plus belles choses que le Seigneur a conçues… Et pourtant, une autre personne que lui aurait peut-être mal réagit face à cela, car le contexte ne se prêtait pas vraiment aux éclats de ce genre. Mais le français, lui, ne parvenait pas à en vouloir au nouvel arrivant. Il y avait un petit « je-ne-sais-quoi » qui laissait bien transparaitre une vérité certaine, cette gorge n’avait pas ri par moquerie, loin de là.

En réalité, l’absurdité avait peut-être meilleure place en ce moment que le véritable humour blessant dont il était hypothétique question auparavant. Le roux ouvrit grand ses oreilles, ravi, dans un sens, que son homologue accorde crédit aux capacités surnaturelles, dont la sienne, par extension. Un sourire très fin vint étirer ses lèvres alors que son regard borgne, toujours triste – quoi que moins qu’une poignée de minutes auparavant – rencontra celui composé de deux orbes du plus ou moins nouveau venu maintenant.

Pas un mot. En réalité, il ne savait guère comment formuler une seule phrase, tant les faits le surprenaient. Il s’était davantage attendu à ce que l’autre homme le prenne pour un fou et décampe illico presto dès lors qu’il aurait abordé le sujet des pouvoirs hors du commun. C’aurait été tellement crédible, dans un sens. Qui sur cette terre pouvait affirmer de façon inné ne pas être surpris de l’existence de personnes d’apparence tout à fait banale mais qui renfermaient en elles des trésors empoisonnés, les exilant de ce que l’on appelait la « normalité » ? Même Hyacinthe s’était retrouvé très étonné en étant amené ici-bas, à la Heroe’s Sup. Il pensait être le seul. Il avait eu tort sur toute la ligne.

Car oui, c’était même loin d’être le cas. Il était une petite communauté de personne très en marge de l’actuelle société, devant se protéger de semblables qui pour le moment, n’était sans doute pas prêt pour les accepter parmi eux, comme si de rien n’était, si la protection du semi-mensonge n’était pas là.

Et puis l’autre fit ce qu’Hyacinthe n’aurait jamais cru possible. Il fit léviter des graviers dans le creux de sa paume. Ça alors… Il était donc comme lui ! Cela expliquait beaucoup de chose, notamment le calme qu’il avait conservé tout du long de leur début de conversation. Fascinant. Il n’y avait pas d’autres mots possibles a employé correctement pour l’heure. C’était ce qui traduisait le plus le ressentit du borgne. Mis en totale confiance maintenant, il put sécher ses propres larmes en passant le revers de main gantée sur les chemins tracés quelques secondes pour tôt par les cristaux. Calmé, il se dit également qu’il pouvait se dévoiler un peu à son homologue, comme un échange de bon procédé.

Ramenant sa paume vers lui, Hyacinthe en fit jaillir un fin duvet enflammé, qui, comme il fallait s’y attendre, ne le brûlait pas. Il ajouta ensuite :

« Je pense donc que si je vous montre ceci, mes paroles précédentes vous paraitrons plus claires, n’est-ce pas ? »

Nouveau regard, plus affirmé cette fois.

« Au fait, je m’appelle Hyacinthe de Chateaubriand. Et vous l’ami ? »

Il était simplement en train de redevenir lui. Que plaisir.

Hyacinthe avait trouvé comme une sorte d’écho à l’appel au secours silencieux que son cœur avait lancé pour lui, sans avoir au préalable consulté la raison. Tant mieux. Il se sentait moins seul ainsi. Oui, c’était très triste à dire mais tout de même, en étant si loin de sa famille, continuellement, ça finissait par avoir le mal du pays. Il projetait d’ailleurs de demander à Roxane s’il pourrait prendre une petite semaine de vacances, prochainement. Enfin, une fois que tous les terribles évènements actuels ne soient passés, bien évidemment. Il n'était pas fou au point de partir dans un tel contexte de crise, quand tout le monde pourrait avoir besoin de lui. Les étudiants comptaient sur sa présence et il était bien décidé à ne pas les décevoir.

Il reporta son attention sur le « type » baraqué venu lui adressé la parole. Il avait l’air très sympathique, au demeurant. Enfin, une fois qu’l eut prononcé quelques paroles, du moins. Et puis a bien y regarder, il n’était pas si différent du français. Lui aussi avait un pouvoir. Sans doute plus de choses les rapprochaient que l’on pouvait l’imaginer au tout départ. Bien redressé et appuyé contre le dos du banc, le roux pesa le pour et le contre de divulguer son passé ainsi que les tenants et les aboutissants de sa lugubre histoire. Il n’avait pas envie d’ennuyer son hôte improvisé avec ce genre de palabres inutiles et déprimantes… Mais d’un autre côté, il avait la sensation qu’il pouvait parler librement à son interlocuteur, que celui-ci ne le jugerait pas.

Toute proportion gardée, avait-il vécu une frise historique semblable à la sienne ? C’était bien probable, les cas d’accidents malheureux dû à des pouvoirs particuliers n’étaient en rien rares ou isolés dans ce bas monde. Il était même bien plus nombreux que ne le relataient parfois les médias, seulement ils se retrouvaient bien souvent masqués ou maquillés par les autorités, pour ne pas faire de « vagues » de panique parmi la population. C’est vrai, c’est tellement plus simple de mettre quelqu’un derrière les barreaux, en sécurité maximum, en prétextant que c’est un psychopathe assoiffé de sang ayant assassiné l’ensemble des enfants d’une maternelles alors qu’en réalité, son pouvoir lui avait simplement échappé, rien de plus. Le résultat restait catastrophique, attention. Mais. Il y avait un facteur qui était souvent passé sous silence par les autorités ; le contrôle de soi. Voici pouvoir Hyacinthe s’évertuait à mettre en pratique son cours avec ses élèves, pour que ce genre de choses n’arrive, il l’espérait, plus jamais.

Son unique œil libre vogua un tantinet vers la foule passante tout près d’eux. Ils se faisaient dévisagés, autant l’un que l’autre, et bien que tolérant, ce n’était une chose que pouvait apprécier le Chateaubriand. Il n’avait pas envie de paraitre telle une bête de foire. Plus encore. Alors, se levant, il vint se poster devant le dénommé Lester – nom fort sympathique, au passage- et lui proposa la chose suivante ;

« Et si nous allions marcher un peu mon ami ? J’ai comme l’impression que la foule environnante nous est un peu hostile, pas vous ? »

Il sourit. Ça lui faisait du bien, de parler un peu, tout de même.